Et puis euh - La fièvre du lundi soir
Toutes les raisons sont bonnes pour ouvrir la boîte à souvenirs, surtout quand on est vieux et qu'on a une certaine affection pour le radotage. Le saviez-vous, c'était bien mieux dans le temps. D'abord parce que tout le monde n'était pas tout le temps occupé à gosser sur son iPhone ou son iPod Touch ou je ne sais trop quoi. (Vous l'avez deviné, la frustration d'avoir l'impression d'en échapper de sérieux bouts amène le vieux à se désoler profondément de la marche accélérée du progrès.)
Dimanche, Don Meredith est décédé à l'âge de 72 ans. Il avait été un excellent quart-arrière avec les Cowboys de Dallas de la première génération avant de s'installer au micro du Monday Night Football dans les années 1970 et 1980.Pourquoi évoquer aujourd'hui cet homme? Parce qu'un ti-cul qui a appris son football 101 en se couchant déraisonnablement tard le lundi soir se rappelle avec amours, délices et orgues ces matchs épiques entre les Steelers de Pittsburgh et les Oilers de Houston. Et parce que ça n'a l'air de rien comme ça, mais le Monday Night Football a révolutionné la télévision et le sport. Carrément.
Tirez-vous une bûche, mononcle ici présent va vous raconter.
Quand Pete Rozelle est devenu commissaire de la Ligue nationale de football au début des années 1960, il a apporté plusieurs idées avant-gardistes. En peu de temps, il est parvenu à faire avaler aux propriétaires d'équipes le principe d'un partage intégral des revenus — que ses dénigreurs qualifièrent de «socialiste» — qui assurerait la parité dans le circuit. Et il avait compris que la télévision était une alliée du sport, non son ennemie; qu'elle ne ferait pas en sorte de dégarnir les gradins, mais qu'elle avait le potentiel de rendre tout le monde plus riche.
Depuis longtemps, le football professionnel était cantonné au dimanche après-midi. Les réseaux CBS et NBC en diffusaient, mais Rozelle rêvait de plus: chaque semaine, un match en soirée, aux heures de grande écoute. Il avait d'abord songé au vendredi, mais les dirigeants des high schools, auxquelles cette journée était réservée, lui avaient rapidement signifié leur désapprobation.
Le lundi, alors? CBS et NBC avaient été contactés, et si leur service des sports montrait une certaine ouverture, ça bloquait d'aplomb au sommet. Comme l'avait dit à Rozelle un patron de CBS: «Quoi? Et laisser tomber Doris Day?»
Les réseaux refusaient carrément de renoncer à leur grille horaire. Surtout pour du sport, considéré comme trop «paroissial», trop mâle, trop simple. Et puis, madame n'accepterait jamais que monsieur, qui avait déjà passé son dimanche à regarder du football, la prive de ses téléséries ou de ses talk-shows.
Rozelle s'était ensuite tourné vers ABC, dont le patron des sports Roone Arledge avait fait preuve d'intérêt, mais dont les propres supérieurs avaient rejeté la proposition. Il avait alors informé ABC de son plan B: vendre les droits à un réseau indépendant propriété de Howard Hughes. Devant la menace de plusieurs stations de se désaffilier d'ABC pour pouvoir présenter les matchs, celui-ci a finalement cédé. Une nouvelle ère s'ouvrait.
Le premier match du lundi soir a été diffusé le 19 septembre 1970. Le succès fut instantané.
Arledge, un précurseur et un maître dans son domaine, avait veillé à ce que la facture de l'émission diffère radicalement de tout ce qu'on avait vu jusque-là en matière de football. Déjà, on était servi par un environnement inédit: on jouait sous les réflecteurs, et la luminosité particulière constituait un atout en termes de nouveauté.
Mais Arledge tenait surtout à ce qu'on ne présente pas un simple match de football, mais un show. Musique d'introduction. Utilisation de caméras supplémentaires. Mise de l'accent sur les gros plans et les reprises. Et de l'action sur la passerelle.
Pour seconder le vétéran descripteur Keith Jackson — remplacé après un an par l'ancien joueur étoile Frank Gifford —, Arledge embaucha Howard Cosell et Don Meredith. Cosell était le journaliste sérieux, érudit, au vocabulaire étendu, dont la diction était perpétuellement saccadée et emphatique, comme si chacune de ses phrases annonçait la fin du monde, mais il affirmait «dire les vraies affaires». «Dandy Don», bien que possédant une solide feuille de route, était le gars sans prétention, venu du Texas, parfois vêtu d'un chapeau de cow-boy, qui faisait des blagues et chantait en ondes. Quand un match semblait hors de portée pour une des équipes, il n'hésitait pas à attaquer Willie Nelson: Turn out the lights, the party's over / They say that all good things must end... Et Cosell qui s'adressait souvent à Meredith en lui disant: «I'll tell you, Danderoo...»
Du sport, donc, mais aussi du divertissement, et une case horaire originale. Du reste, le sport les soirs de semaine allait se répandre: la Série mondiale de baseball présenta son premier match en soirée l'année suivante, en 1971, et en 1972, à l'occasion des Jeux de Munich, ABC diffusa pour la première fois des compétitions olympiques aux heures de grande écoute.
Pour sa part, Meredith allait lancer une mode qui, 40 ans plus tard, ne se dément toujours pas: celle de l'ex-athlète ou ex-entraîneur devenu analyste flamboyant. Pas besoin de zapper longtemps pour en trouver quelques spécimens...
Ce qui nous amène à la pensée du jour: de toute manière, y a pas grand-chose d'autre à faire le lundi soir...
R.I.P. Danderoo.