La faute au système
Le premier ministre Jean Charest devait bien se douter qu'en rappelant le rôle essentiel des parents dans l'éducation de leurs enfants il allait provoquer des réactions aussi passionnelles, mais on ne va pas lui en faire le reproche. Car c'est un des tabous les plus chers aux adeptes de «c'est la faute au système». En effet, il est malvenu de mettre en cause la responsabilité des individus dans le dysfonctionnement social.
On est délinquant, criminel ou victime consentante à cause des carences de l'enfance, et dans le cas du décrochage scolaire la faute repose sur la société tout entière. Paradoxe ultime dans une société reposant par ailleurs sur le droit individuel. Les individus ont tous les droits, sauf qu'il est interdit de rendre ces derniers responsables de leurs actes. Si les enfants abandonnent l'école, n'allez surtout pas blâmer les parents puisque c'est la faute de tous.À vrai dire, nous avons une attitude tordue face à la responsabilité personnelle parce qu'elle sous-tend une obligation de juger les actes, ce qui entraîne une culpabilisation pour celui qui les pose. Ne dites surtout pas aux parents qu'ils sont les premiers responsables de leur enfant, car cela les perturbe, les provoque ou les accable. Il faut donc taire, publiquement du moins, cette réalité, à savoir que trop de parents ne sont pas à la hauteur et ont tendance à se décharger de leurs tâches sur les enseignants, le système, le gouvernement et en dernier recours les psys de toutes catégories.
Il flotte dans la société un interdit de blâmer les parents semblable à l'interdit de publication des tribunaux. La société actuelle serait plutôt composée essentiellement de victimes ayant besoin de l'État nounou, version laïque de l'État providence. Les parents sont donc des géniteurs qui mettent au monde des enfants, propriétés de la société. Qu'est-ce que c'est que ces histoires anciennes où l'on enseignait que les parents devaient se sacrifier pour leurs enfants? Être parent supposait contraintes, oubli de soi, vertus obsolètes aux yeux de trop nombreux pères et mères «adulescents».
Il faut dire que la vie actuelle des jeunes parents paraît infernale dans cette obligation de concilier l'inconciliable. Travail, famille, épanouissement personnel sont des contradictions dans les termes. La vie quotidienne s'est transformée en marathon permanent dans lequel l'enfant peut apparaître comme un frein. Dans le monde idéal de cette vie de fous, chacun devrait jouer un rôle. La famille s'occupant de l'affection, l'école de l'éducation, le travail du gagne-pain, de l'épanouissement du moi et de la satisfaction de l'ambition. Trop de parents estiment donc que l'apprentissage scolaire et l'éducation dans toutes ses dimensions reviennent aux seuls établissements scolaires.
Cela étant, il faut admettre que la société actuelle se préoccupe davantage de la santé que de l'éducation. Le «qui s'instruit s'enrichit» est en recul, et ce n'est pas le nouveau héros des jeunes, champion du monde de poker (8,9 millions de dollars), qui va aider la cause de l'éducation, lui qui a abandonné l'université pour le tapis vert. Mais Jonathan Duhamel lui-même reconnaît être une exception et met les jeunes en garde, les invitant à ne pas décrocher.
Les parents des baby-boomers se sont souvent saignés à blanc pour faire instruire leurs enfants, voulant leur épargner l'expérience de leur dure vie laborieuse. Les pères étaient peut-être moins présents, plus réservés dans leurs sentiments, moins enclins à dire «je t'aime», mais ils s'échinaient à travailler pour payer des études à leur progéniture. Certes, ce type de parents existe toujours, les écoles privées sont remplies d'enfants qui ne viennent ni d'Outremont ni de la Grande Allée de Québec. Des parents qui s'impliquent dans le cursus scolaire, qui rassurent leurs enfants, les aident dans la mesure de leurs moyens. Mais combien de parents, faute de temps, d'intérêt, par indifférence ou, lâchons le mot, par égoïsme, préfèrent accuser le système, traiter les profs d'incompétents et le gouvernement d'inapte plutôt que s'interroger sur leurs responsabilités paternelles et maternelles.
L'État a le dos large. Surtout au Québec où il est à la fois décrié par la gauche, qui le souhaite plus tentaculaire, et la droite, qui le dénonce tout en ne boudant pas les subventions de tous genres, aux entreprises en particulier. «Chacun son métier et les vaches seront bien gardées», écrit La Fontaine. L'éducation des enfants est prioritairement la responsabilité des parents. Quelle contrainte mais quel bonheur à la fois d'être assis à côté de son enfant et de partager avec lui ce monde fascinant des connaissances. Lorsqu'à huit ou neuf ans j'arrivais de l'école, ma mère m'attendait, impatiente de s'attabler à mes côtés, pour m'apprendre la page de grammaire que nous allions aborder en classe le lendemain. C'était sa consolation de n'avoir pu poursuivre des études. Sa fébrilité d'apprendre fut mon héritage et le culte du savoir qu'elle m'a transmis, une façon de m'aimer. Aucun système, aucun État, et je dirais aucune école ne remplace cette expérience fondatrice.
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