Repères - Le pouvoir au bout du chéquier

Le Tea Party serait-il à la grande bourgeoisie américaine ce que les «masses» ont été aux nomenklaturas communistes, c'est-à-dire un instrument qui sert à la conquête du pouvoir et dont on dispose ensuite sans trop s'encombrer de scrupules?

C'est ce qu'on avance parfois aux États-Unis afin d'expliquer pourquoi, après l'élection historique de Barack Obama, des gens disant représenter le «vrai monde» se sont mobilisés contre le nouveau président, s'opposant à des programmes sociaux favorables à la classe moyenne et défendant les intérêts de gens qui gagnent cent fois plus qu'eux. Au point de faire basculer la majorité à la Chambre des représentants.

Cette idée se retrouve surtout dans des médias de centre gauche. Les auteurs qui la développent ont été accusés d'échafauder des «théories du complot», comme il fallait s'y attendre. C'est le New Yorker qui a lancé le bal en août, avec un reportage sur les liens, discrets, mais nombreux et indéniables, entre le Tea Party et David Koch, copropriétaire avec son frère Charles de Koch Industries, la deuxième société à capital fermé en importance aux États-Unis, active dans plusieurs secteurs, dont la pétrochimie.

M. Koch est un mécène qui donne généreusement à des sociétés culturelles et à des hôpitaux, mais également à des cercles de réflexion libertaires de droite comme le Cato Institute, de même qu'à un groupe d'action politique appelé Americans for Prosperity (AfP), lequel a fourni un soutien logistique sinon financier aux rassemblements du Tea Party.

David Koch et AfP n'ont pas créé ce mouvement né du dégoût suscité par le sauvetage public des banques en 2008, mais semblent l'avoir admirablement manipulé.

La faiblesse de l'économie américaine continue de nourrir la colère de la classe moyenne, mais étrangement, c'est contre les tentatives de réglementer ces mêmes institutions financières (ou la polluante industrie pétrolière) et contre des programmes sociaux susceptibles de les aider en cas de coup dur que les membres du Tea Party vocifèrent aujourd'hui.

En fait, ils reprennent à leur compte les revendications qui ont été celles d'Americans for Prosperity et d'autres groupes de pression similaires depuis des années ou des lustres: moins d'impôts, moins de dépenses publiques, moins de réglementation.

Les Koch ne sont pas les seuls milliardaires à utiliser leur fortune pour influencer le verdict des urnes. Les démocrates ont déjà bénéficié des largesses de George Soros, mais ce dernier l'a fait plus ouvertement et ses motifs paraissent un peu moins intéressés.

Il y a quelques années, le Congressional Budget BureauKoch (le centre de recherche fiscale à la disposition des élus) a établi que ce sont les Américains les plus riches qui s'enrichissent depuis trente ans, les pauvres et la classe moyenne faisant du surplace.

Dans un pays qui s'inquiète à juste titre du déficit et de la dette de l'État, et où l'impôt est moins progressif que dans la plupart des pays industrialisés, le Congrès sortant doit décider d'ici la fin de l'année si les richissimes contribuables continueront de bénéficier des allégements fiscaux que George W. Bush leur avait consentis en 2001 et en 2003.

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