Le double langage

Si quelqu'un en doutait encore, le triste dénouement de la dernière ronde de négociations au Journal de Montréal démontre parfaitement ce que recherche Quebecor: l'annihilation pure et simple du syndicat.

Vouer Pierre Karl Péladeau aux gémonies peut certainement être soulageant, mais cela ne fait pas avancer les choses. Au point où en est le dossier, seule une intervention de l'État peut encore empêcher que le gâchis soit total.

Jusqu'à présent, le gouvernement Charest a fait le strict minimum que lui permettait la décence pour favoriser un règlement négocié. Maintenant que le mot «négociation» a perdu tout son sens, il ne peut plus assister en spectateur à cette entreprise de destruction.

Bien sûr, le gouvernement ne peut pas imposer une convention collective. Il est cependant évident que l'environnement légal dans lequel le conflit s'est déroulé jusqu'à présent a créé un déséquilibre des forces qui interdit toute issue honorable. À l'heure d'Internet, la Loi anti-briseurs de grève telle que rédigée en 1978 ne veut plus rien dire. Quebecor peut s'en tenir à la lettre de la loi tout en violant allègrement son esprit.

En août dernier, la Commission jeunesse du PLQ a adopté une résolution demandant au gouvernement d'adapter le Code du travail à la nouvelle réalité. La ministre du Travail, Lise Thériault, avait reconnu que la loi actuelle était dépassée et avait promis d'y réfléchir.

«Il y a toujours des gens intelligents qui, tout en respectant les textes, en contournent l'esprit. Malheureusement, les gouvernements doivent intervenir pour resserrer les textes et couvrir les gens de bonne foi», avait déclaré son collègue des Finances, Raymond Bachand, qui était le chef du cabinet de Pierre Marc Johnson quand ce dernier a fait adopter la loi.

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Aucune nouvelle loi n'est cependant en vue. À Québec, on laisse clairement entendre que les centrales syndicales ne tiennent pas vraiment à rouvrir le Code du travail. Elles craignent qu'en échange d'amendements aux dispositions anti-briseurs de grève, le gouvernement ne doive faire des concessions au patronat, explique-t-on.

Pourtant, le mois dernier, alors qu'elle participait à une manifestation des lockoutés du Journal de Montréal sur la colline parlementaire, Claudette Carbonneau affichait une belle pugnacité. «Refuser de moderniser les dispositions [de la Loi] anti-briseurs de grève après 20 mois de conflit, c'est choisir d'appuyer une partie et de mépriser 253 personnes qui sont sur le trottoir depuis bien trop longtemps», avait-elle lancé.

La présidente de la CSN tient-elle un double langage, selon qu'elle s'adresse aux membres de sa centrale ou au gouvernement? Est-ce plutôt le gouvernement qui invente ce prétexte pour ne rien faire? Chose certaine, quelqu'un ment.

Certes, les négociations pour le renouvellement des conventions dans le secteur public ont accaparé beaucoup de temps et d'énergie au cours de la dernière année. Il reste que, depuis le début du conflit au Journal de Montréal, la CSN n'a jamais donné l'impression de vouloir mettre tout son poids dans la bataille, comme si elle la croyait perdue d'avance.

Il y a pourtant certains conflits qui sont déterminants pour l'ensemble du mouvement syndical et la société en général. Celui-ci pourrait bien en être un. On assiste actuellement à la démonstration spectaculaire qu'un matamore peut déchirer une convention collective et détruire un syndicat en toute impunité. Il lui suffit de verser quelques millions en indemnités de départ.

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S'il y a eu une époque où les syndicats pouvaient être perçus comme une menace à la paix sociale au Québec, celle-ci est révolue depuis longtemps. Certes, il y a encore des fiers-à-bras sur les chantiers de construction, et la sincérité de la conversion des cols bleus de Montréal aux vertus de la productivité reste à démontrer. De façon générale, le climat des relations de travail est quand même meilleur que jamais.

Parler de morale et du gouvernement Charest dans une même phrase en fera peut-être sourire certains, mais il a bel et bien le devoir moral de préserver cette relative harmonie. En demeurant plus longtemps passif dans le conflit au Journal de Montréal, il abdiquerait cette responsabilité. D'ailleurs, la Caisse de dépôt est le plus gros actionnaire de Quebecor Media après Quebecor. En passant, Claudette Carbonneau est membre du conseil d'administration de la Caisse. Trouvez l'erreur!

Il est bien possible, sinon probable, que le patronat exige une contrepartie à d'éventuels amendements à la Loi anti-briseurs de grève, mais pourquoi le gouvernement devrait-il nécessairement lui en consentir une? Si l'invention d'Internet a créé une situation préjudiciable aux travailleurs, au nom de quel principe faudrait-il dédommager les employeurs qui ne pourraient plus tirer profit de ce préjudice?

La Fédération professionnelle des journalistes a proposé la convocation d'une commission parlementaire pour examiner les véritables enjeux du conflit au Journal de Montréal. Si tout le monde pouvait en profiter pour dire clairement ce qu'il pense, ce serait déjà un progrès.

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mdavid@ledevoir.com

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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