Et puis euh - Matière à réflexion
De manière générale et spécifique en même temps, le mois d'octobre a été conçu pour que l'amateur professionnel de sport ne sache point trop où donner de la zappette. En voulez-vous du contenu d'autant plus divertissant que la parité est partout et qu'on ne sait jamais qui va gagner, en voici. Hockey sur glace de début de saison par-ci — l'importance de connaître un bon début de saison, Chose —, séries de fin de saison de baseball par-là — l'importance d'avoir de bonnes séries de fin de saison, en cause-t-on jamais assez? —, football de milieu de saison au travers, et on raconte même à travers les branches qu'on peut aussi assister à du poker, qui lui serait toujours en saison parce que les cartes n'ont pas besoin de repos.
Ce serait tout s'il n'y avait autre chose. Genre du cinéma qui nous pousse à la réflexion entre deux hourras arrachés par l'exploit.Il y a deux semaines, le réseau PBS nous faisait un indicible plaisir en présentant The Tenth Inning, la dernière tranche en date du documentaire-fleuve de Ken Burns sur l'histoire de la balle et, au fond, sur l'histoire des États-Unis. (Vous l'avez raté parce que vous aviez une réunion sur le suivi des orientations ou un cours de tricot théorique ces soirs-là? Rediffusion les 8 et 15 novembre, bande de veinards). La neuvième manche s'était terminée aux alentours de 1992, et on reprend de là.
Histoire des États, mais déviation par le Canada: les Blue Jays remportent la Série mondiale deux fois de suite, et on a toutes les raisons de croire que le titre pourrait demeurer au pays en 1994. Impossible de l'avoir oublié, nos Expos présentaient le meilleur dossier des majeures, 74-40, six matchs complets devant les Braves dans l'Est, lorsque le 12 août les réflecteurs se sont éteints. Grève des joueurs, et annulation du reste du calendrier. Vous dire, si ce n'était de ce maudit orgueil, je n'aurais pas eu l'oeil complètement sec en revisitant cet épouvantable gâchis, ce rendez-vous raté avec une destinée qui ne devait pas être, en quelque sorte.
On sait ce qui est arrivé après: solde post-incendie, Walker, Grissom, Wetteland et Hill qui partent pour ailleurs, et la longue fin commence. Après pareille gifle, les partisans de Montréal, dit le narrateur, «ne sont jamais revenus».
Le film attribue à Cal Ripken et à ses 2632 matchs consécutifs une bonne part du crédit pour le retour du baseball dans les bonnes grâces de l'Amérique. C'était juste avant que les masses ne s'enflamment devant l'explosion de coups de circuit à propos de laquelle les rares voix qui émettent des soupçons se font vertement rembarrer. Chicks dig the long ball, et toutes ces choses.
Gros plan sur Ichiro Suzuki, anachronisme en cette ère obnubilée par les gros bras et la puissance. Le premier joueur de position japonais dans les grandes ligues frappe des simples, bat des relais à l'avant-champ et vole des buts. Du bon vieux baseball comme il ne s'en fait plus. Ichiro n'aurait pas été à côté de ses pompes au temps de Ty Cobb.
On voit aussi les Yankees qui reviennent au sommet à la fin des années 1990, les Red Sox qui vainquent enfin la malédiction du Bambino en 2004, après 86 ans d'attente, et l'émergence des Latino-Américains. Mais le fil conducteur de The Tenth Inning a un visage et un nom, et il s'agit de Barry Bonds.
Bonds est incontestablement le meilleur joueur de sa génération; certains diront le plus grand de tous les temps. Il a les statistiques pour le prouver, mais il prend ombrage de toute l'attention accordée à Mark McGwire et Sammy Sosa lors de leur folle chasse au record de circuits qui connaîtra son apogée en 1998. Thèse sous-jacente du film: Bonds, qui n'a pas la personnalité plutôt attachante des deux autres, décidera que lui aussi a droit à la reconnaissance, et il agira en conséquence, se dotant d'une carrure assez impressionnante par une recette secrète. Plus tard, le chat sorti du sac, on appellerait cette période trouble The Steroid Era.
L'histoire se poursuit. Peut-être aura-t-on un jour une 11e manche.
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La principale tache au dossier du baseball majeur demeure bien sûr son bannissement, pendant près de trois quarts de siècle, des joueurs noirs. Mais au moins un autre groupe, s'il était lui toléré, n'a pas eu la partie facile. Jews and Baseball: An American Love Story, du réalisateur Peter Miller, raconte comment le sport a pu contribuer à l'intégration des Juifs à la société américaine. Le film tient actuellement l'affiche au cinéma Cavendish.
D'une facture très similaire à l'oeuvre de Ken Burns, Jews and Baseball relate des moments sombres: de Henry Ford qui accuse les Juifs d'avoir comploté le trucage de la Série mondiale de 1919 et soutient que le principal problème du baseball consiste à être «trop juif» jusqu'au grand Hank Greenberg, le roi des cogneurs des années 1930, qui se fait traiter de «tueur de Christ» et à qui des spectateurs lancent des côtelettes de porc.
Mais il y a aussi un versant plus joyeux. La musique de l'immensément populaire Take Me Out to The Ball Game, par exemple, a été écrite par Albert von Tilzer, un Juif, et la chanson fait allusion au Cracker Jack, une invention juive. Et l'un des meilleurs lanceurs de tous les temps fut Sandy Koufax, qui par ailleurs n'hésita pas à refuser de jouer lors du premier match de la Série mondiale de 1965 parce qu'il avait lieu le jour du Yom Kippour.
Et on ajoutera que, sans Charles Bronfman, nos Expos n'auraient probablement jamais existé...