Affaire de choix

Lundi dernier, à Gatineau, le chef libéral, Michael Ignatieff, dévoilait la politique de son parti à l'égard des aidants naturels. Bien qu'importants, les détails de cette annonce ne constituaient pas le cœur du message. Le but sous-entendu de l'exercice était d'illustrer avec force ce qui distingue les libéraux des conservateurs. La démonstration a fonctionné, d'autant plus que les conservateurs y ont mis du leur.

Imaginez! Le jour même où le Parti libéral proposait d'annuler les prochaines baisses de taxes offertes aux entreprises pour pouvoir financer des programmes comme celui de l'aide financière aux aidants naturels, le gouvernement Harper annonçait des investissements de 155,5 millions de dollars pour l'expansion de prisons au Québec et en Ontario. Quant à la ministre des Ressources humaines, Diane Finley, elle repoussait le projet libéral en disant que «la plupart des employés ont des vacances qu'ils peuvent utiliser».

Pareille réplique est du bonbon électoral pour les libéraux, eux qui ont été si souvent égratignés pour une remarque déplacée d'un conseiller de Paul Martin, remarque que les conservateurs continuent, des années plus tard, à utiliser. Et que dire des objections conservatrices devant le milliard de dollars que coûterait le programme libéral? Un milliard de dollars par année pour aider des milliers de Canadiens à soutenir un proche gravement malade ou mourant serait trop onéreux alors qu'on n'a eu aucun problème à trouver cette somme pour les sommets du G8 et du G20, l'été dernier.

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Après quatre années passées à laisser adopter les budgets et projets de loi du gouvernement Harper, il devenait tentant d'amalgamer libéraux et conservateurs. C'est pour se sortir de ce piège que l'équipe qui entoure Michael Ignatieff depuis bientôt un an a consacré tout son temps à jeter les bases d'un délicat exercice de différenciation, démarche que les faux pas conservateurs ont aidée.

Il y a d'abord eu la prorogation dont les libéraux se sont servis pour dénoncer l'état de la démocratie canadienne sous Stephen Harper. Puis, au fil des mois, ils ont montré une plus grande habileté à exploiter les maladresses ou les positions plus idéologiques des conservateurs, que ce soit sur la transparence, l'avortement, le droit à la dissidence, le recensement, les abus aux sommets du G8 et du G20 ou le registre des armes à feu.

Il y a eu aussi la tournée estivale de Michael Ignatieff. Elle a permis de le tester, mais aussi de peaufiner un style qui, en campagne électorale, pourrait accentuer la différence entre les deux chefs. Personne ne peut prédire l'effet que pourrait avoir sur les électeurs l'image, soir après soir, d'un chef conservateur confiné à sa bulle et d'un chef libéral allant au-devant des gens. Elle peut servir à rappeler ce qui déplaît tant chez Stephen Harper. L'homme est jugé compétent, discipliné et intelligent, mais son tempérament intransigeant et autoritaire, son penchant pour l'intimidation et la confrontation alimentent une méfiance qui l'empêche, dans les sondages, de se maintenir à un niveau digne de son rêve de gouvernement majoritaire.

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Jusqu'à tout récemment cependant, les libéraux étaient en mode «réaction». Avec la politique annoncée lundi dernier, ils viennent de franchir une étape cruciale: prendre l'initiative pour mieux se distinguer et ainsi offrir un vrai choix aux citoyens. Il ne s'agit que d'un premier pas vers un programme complet, mais d'un pas essentiel.

Élections riment avec options. Lors de la dernière campagne, le Tournant vert de Stéphane Dion tranchait sans problème avec le programme conservateur, mais il rebutait les citoyens. Il a été jeté aux oubliettes et, depuis les élections de 2008, on ne savait plus où logeaient les libéraux. L'annonce de la semaine dernière, ajoutée aux prises de position des derniers mois, commence à dissiper le brouillard.

La réapparition d'un véritable choix entre les deux principaux partis pourrait changer la donne lors des prochaines élections, d'autant plus si les conservateurs persistent à opposer les Canadiens entre eux. Cette approche les sert bien tant que les électeurs dégoûtés restent chez eux pendant que la base conservatrice revigorée se rend aux urnes. C'est ce qui s'est produit il y a deux ans, le taux de participation touchant un plancher historique. Et en ne faisant rien pour tenter d'élargir sa base, Stephen Harper semble toujours miser sur la désaffection pour arracher le pouvoir.

Mais qu'arrivera-t-il si les désenchantés se fâchent, secouent leur torpeur et vont voter? On l'oublie souvent, mais la chute du taux de participation en 2008 explique largement le bon résultat des conservateurs, car cette baisse était largement attribuable aux libéraux mécontents qui, en grande majorité, sont restés chez eux.

En 2006, le PC a, avec 5 374 071 voix, récolté 36,3 % des votes et 124 sièges. Deux ans plus tard, il obtenait 37,7 % des votes et 143 sièges — presque la majorité — avec pourtant 165 000 voix de moins. Les libéraux, eux, ont vu leur nombre de votes fondre de 4 479 415 à 3 633 185, soit 846 230 de moins. Et ces votes perdus ne sont allés nulle part puisque le NPD et le Bloc ont eux aussi obtenu moins de voix en 2008.

Une des grandes questions de la prochaine campagne sera donc de savoir qui et quoi pourraient convaincre ces électeurs d'arrêter de bouder.

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mcornellier@ledevoir.com

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