L'arme monétaire
Le bel esprit de coopération affiché durant la crise s'est envolé. Les grandes puissances s'accusent mutuellement de se servir de leurs monnaies pour faire porter à l'autre le fardeau de la relance économique mondiale. On n'aura pas le choix de trouver un terrain d'entente, sans quoi...
«Ça sent la guerre, constatait en éditorial la semaine dernière le Financial Times. Une guerre monétaire, bien sûr, mais dont les conséquences pour l'économie mondiale pourraient néanmoins être terribles.»L'histoire n'est pas nouvelle, mais elle a brutalement gagné en intensité depuis quelques semaines. Il s'agit de l'accusation portée contre des pays d'affaiblir artificiellement leur propre devise dans le but de conférer un avantage à leurs exportations.
Le pays le plus souvent placé sur le banc des accusés en ce domaine est la Chine, première puissance exportatrice au monde. Se disant à bout de patience, la Chambre des représentants du Congrès américain vient d'adopter un projet de loi qui permettrait aux États-Unis de frapper de sanctions commerciales tout pays s'adonnant à des politiques de change déloyales. Phénomène tout à fait exceptionnel par les temps qui courent, quoique pas surprenant en cette veille d'élections de mi-mandat, ce projet de loi, qui doit encore obtenir l'aval du Sénat et du président, a recueilli un vaste appui aussi bien chez les démocrates que chez les républicains.
Si l'estimation que font les experts de l'ampleur de la dévaluation du renminbi chinois par rapport au dollar américain va de 10 % à 50 %, plus personne ne conteste qu'elle équivaut à une subvention des exportations chinoises. Même Pékin la confirmait indirectement, la semaine dernière, en plaidant que le fait de laisser flotter librement sa devise signerait l'arrêt de mort d'un pan entier de son secteur manufacturier. Se disant en marche vers un régime de change fondé sur le marché, la Chine revendique toutefois le droit de procéder à une «évolution progressive, graduelle, plutôt qu'à une thérapie de choc».
Les Chinois ne sont pas les seuls à essayer d'améliorer leur sort sans se soucier de celui des autres, a dénoncé, la semaine dernière, le pourfendeur du néolibéralisme et Prix Nobel d'économie, Joseph Stiglitz. Les banques centrales américaine et britannique ne font pas mieux, selon lui, lorsqu'elles gardent leurs taux directeurs au plancher et font savoir qu'elles envisagent l'injection de nouvelles liquidités pour stimuler leurs économies respectives. De telles mesures ont aussi pour effet de réduire la valeur du dollar et de la livre sterling, a-t-il rappelé, en noyant les investisseurs d'argent facile qu'ils se dépêcheront de placer dans des pays offrant de meilleurs rendements, comme la Chine et les autres économies émergentes.
La panique gagne pendant ce temps les autres pays. Le Brésil a été le premier, le mois dernier, à parler de «guerre des monnaies» et s'est dit prêt à bloquer des investissements étrangers et à vendre massivement des reals pour en affaiblir la valeur. Le Japon est déjà passé à l'action pour se défendre, dit-elle, des politiques chinoise et coréenne. La Thaïlande et l'Inde menacent d'agir elles aussi, tout comme les Philippines, la Malaisie et l'Afrique du Sud. Aux prises, il n'y a pas si longtemps encore, avec une devise chancelante, l'Europe a aussi vu l'euro remonter en flèche sous l'effet conjugué de l'atténuation de la crise de la dette grecque, des manipulations monétaires des autres, du refus de sa banque centrale de jouer à ce jeu, et du désir à long terme des autres banques centrales de diversifier leurs réserves de changes en dehors du billet vert.
Chacun pour soi
Pas besoin d'être un expert pour comprendre que, si tout le monde essaie de dévaluer sa monnaie par rapport aux autres, personne n'améliora son sort. Dans une entrevue au quotidien Le Monde, le directeur général du Fonds monétaire international (FMI), Dominique Strauss-Kahn, a déploré l'étiolement de l'esprit de coopération qui régnait au G20 durant les pires heures de la crise. Il a déploré cette «croyance de plus en plus évidente de chaque gouvernement qu'il peut se débrouiller seul». On a calculé qu'une meilleure concertation des gouvernements ajouterait 2,5 points de pourcentage à la croissance mondiale, créerait 30 millions d'emplois supplémentaires et sortirait 33 millions de personnes de l'extrême pauvreté.
Les ministres des Finances de plusieurs pays concernés ont essayé, sans succès, de remettre un peu d'ordre dans leurs rangs, en fin de semaine, à l'assemblée annuelle du FMI. Ils s'essaieront de nouveau le mois prochain au sommet du G20, à Séoul.
L'un des problèmes fondamentaux auxquels on revient chaque fois est celui du déséquilibre structurel entre des pays avancés, qui s'endettent pour consommer, et des puissances émergentes qui financent cet endettement pour pouvoir exporter. La seule différence est que les pays avancés sont aujourd'hui trop endettés pour continuer ce petit jeu et qu'ils voudraient retrouver le chemin de la croissance en se mettant à exporter à leur tour.
Jamais à court de grands projets de refonte de l'économie mondiale, le président français, Nicolas Sarkozy, parle aujourd'hui d'un «nouvel ordre monétaire». Repoussant l'idée d'un retour à l'ère des taux de changes fixes, abandonné en 1971, celui qui présidera le G20 l'an prochain plaide pour le remplacement du dollar américain par une nouvelle devise internationale. Encore flou, le projet a peu convaincu jusqu'à présent.
On finira peut-être par trouver d'autres solutions individuelles ou collectives, écrivait la semaine dernière le chroniqueur du Financial Times, Martin Wolf. «J'aimerais être optimiste, mais je ne le suis pas. Un monde régi par le protectionnisme a toutes les chances de mal finir.»