Essais québécois - L'espion et l'assassin
Pierre Laporte, en octobre 1970, est un homme sous surveillance. L'Escouade des enquêtes spéciales de la Sûreté du Québec (SQ), qui traque la mafia montréalaise, a découvert que l'homme politique fraie avec le crime organisé. Laporte et Jean-Jacques Côté, son organisateur politique, se font financer par le clan Cotroni. La ligne de René Gagnon, attaché politique de Laporte, et non celle du ministre lui-même, contrairement à ce que titrait La Presse samedi dernier, est alors mise sur écoute. On peut y entendre des conversations entre Gagnon, l'homme de Laporte, et Frank Dasti, l'homme des Cotroni.
Voilà une des anecdotes que raconte Claude Lavallée dans Révélations d'un espion de la SQ. Spécialiste de l'écoute électronique, Lavallée, que la modestie n'étouffe pas, affirme aussi avoir capté une conversation entre Robert Lemieux et Paul Rose, dans laquelle ce dernier confirme être l'assassin de Laporte. Pourtant, si, à la page 225 de son ouvrage, Lavallée fait dire à Rose «je l'ai fini», à la page 224, il lui fait plutôt dire «on l'a fini». Quoi qu'en conclue l'ex-policier, le mystère demeure donc.Témoignage énergique rempli d'anecdotes rocambolesques, l'ouvrage de Lavallée ne traite toutefois pas que de la Crise d'octobre, au sujet de laquelle il nous apprend aussi que la GRC, en décembre 1970, a mis sur écoute la ligne de Gérard Pelletier, alors secrétaire d'État, sous prétexte que ce dernier avait remis en question la pertinence de la Loi sur les mesures de guerre. Lavallée — «un personnage», dit-il de lui-même — y raconte avec un plaisir contagieux ses faits d'armes de flic à l'ancienne, ce qu'il sera de 1962 à 1972.
Dans ces pages tout à sa gloire personnelle, il sauve un enfant de la noyade en rampant sur la glace, démantèle un réseau de trafiquants de pièces d'auto à Brossard en 1965, retrouve, la même année, grâce à la collaboration de la femme d'Eric Kierans, les tableaux volés de la collection léguée par Duplessis au Musée du Québec, participe au «nettoyage» de Montréal, en vue de l'exposition universelle de 1967, en espionnant des homosexuels (il a honte, avoue-t-il aujourd'hui), fait avorter un gros vol de banque lors du Carnaval de Québec en 1970 et contribue à la condamnation de Frank Cotroni et Frank Dasti, à New York, en 1975.
Alpiniste, pionnier de la plongée sous-marine à la SQ, végétarien et souverainiste — il admet avoir ressenti un peu de sympathie pour les «jeunes fous» du FLQ, alors qu'il mettait sur écoute la ligne téléphonique des parents de Jacques et Louise Lanctôt — Claude Lavallée détonne dans l'univers policier de l'époque. À sa retraite de la police, en 1972, il s'inquiétera du sort que pourrait lui réserver la justice. Non parce qu'il aurait trempé dans la corruption, comme d'autres policiers de ces «temps troublés» qu'il évoque, mais parce que «la mise sous écoute électronique non autorisée d'un citoyen, le viol du secret professionnel d'un avocat, le vol de matériel à une compagnie respectable [Bell], l'usurpation d'identité, la confection de faux papiers et les entrées par effraction pouvaient être mal perçus par un juge tatillon».
Ces méthodes illégales, fréquentes en ce temps-là, sont certes condamnables, mais elles donnent de sacrées bonnes histoires.
Se faire un nom par le crime
L'univers des gangs de rue est effrayant et mystérieux. Vincent Larouche le connaît bien, pour l'avoir couvert dans les pages du Journal de Montréal et pour RueFrontenac.com. Dans Moi, Ziad, soldat des gangs de rue, il nous le fait découvrir de l'intérieur, en prêtant sa plume à un certain Ziad, un acteur de ce monde hyperviolent, aujourd'hui emprisonné pour double meurtre.
Jeune Québécois d'origine marocaine habitant le Plateau Mont-Royal, Ziad est élevé dans une famille correcte par des parents sévères. Frustré par les con-traintes parentales, l'adolescent commence à fuguer, à voler et à se droguer. Il se nourrit de hip-hop qui idéalise la criminalité et de films violents. Des séjours en centre jeunesse lui font rencontrer «du monde vraiment intéressant pour un petit cul comme [lui] qui rêvait de devenir gangster». N'ayant que mépris pour «la routine des travailleurs honnêtes» comme ses parents, il décide qu'il vivra du crime.
Un braquage raté, à 18 ans, le mène en prison. «J'étais à la bonne place», dit celui qui aspire à se faire un nom dans le milieu criminel. À sa sortie, avec ses nouveaux «amis», il se procure des armes et multiplie les vols à main armée. Il massacre ses victimes sans remords.
Ziad n'est pas membre d'un gang, mais fraie avec ce milieu. En décembre 1995, il participe à une opération visant à venger un «ami». Il est au volant de la voiture à partir de laquelle un de ses complices mitraille des jeunes censés appartenir à un gang rival. Ce sauvage commando fera deux victimes, dont une adolescente de 15 ans, enceinte. Ziad sera reconnu coupable de ce meurtre, après avoir été piégé par un de ses «amis», devenu délateur.
Pendant ses premières années de détention, il ne change pas. Il se sert de filles pour faire entrer de la drogue en dedans et continue de jouer les caïds. Tout cela le laisse vide, déçu. Il reprend finalement les études et commence à voir les choses autrement. Il cesse de consommer de la drogue, se marie, renoue avec ses parents et espère bénéficier d'une libération conditionnelle en 2021.
«Je suis la preuve que personne n'est à l'abri d'une semblable dérive», écrit-il. Entre les lignes de son témoignage, habilement mis en forme par Larouche, on sent que sa fascination pour l'univers du crime organisé n'est pas totalement morte, mais que sa lucidité a pris le dessus. «On peut tout perdre dans ce milieu, écrit-il. Même quand on se croit plus brillant que tous les autres.»
Ziad voudrait que sa vie ratée, qui a causé tant de souffrance aux autres, serve d'exemple à ne pas suivre. Comme l'écrit le criminologue Clément Laporte en préface, ce livre est utile en ce qu'il permet de faire «l'examen de ce mode de pensée qui sous-tend et dirige les actions de bien des jeunes criminels». Ces derniers, malheureusement, comme le déplore Ziad lui-même, ne lisent pas beaucoup.
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louisco@sympatico.ca
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Révélations d'un espion de la SQ
Claude Lavallée
Préface de Jean-Pierre Charbonneau
Éditions de l'Homme
Montréal, 2010, 272 pages
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Moi, Ziad, soldat des gangs de rue
Ziad et Vincent Larouche
Préface de Clément Laporte
Les Intouchables
Montréal, 2010, 192 pages