Le cancer à l'école de l'humour

Elle ne se doutait pas qu'elle avait la tête enflée et un petit cerveau. Comme tout le monde, elle pensait qu'elle avait la vie devant elle et toute sa tête aussi. Une fille «sur la go», 36 ans, VP dans une agence de pub connue, trois enfants de 8 à 10 ans en garde partagée, un chum, un condo, un chalet, un chat et des REER... dont elle ne sait plus que faire. C'est la faute au cancer.
À la suite d'une chute de planche à neige, en mars 2009, Véronique Lettre est admise aux soins intensifs pour ce qu'on croit être une hémorragie cérébrale. Dans la foulée, on lui déniche aussi une tumeur très agressive, un glioblastome grade 4 pour être précis, dont la survie moyenne est de 9 à 10 mois et les chances d'en guérir de 0 %, si on exclut les miracles. Le réveil a été brutal, mais pas fatal.«J'ai eu de la chance, confie Véronique sur une note optimiste. Si je n'avais pas fait cette chute, ce n'est pas aux soins intensifs que j'aurais été admise, mais à la morgue. Le temps qu'on trouve mon problème, je serais morte. Là, j'ai eu accès aux spécialistes tout de suite et j'ai pu être opérée rapidement.»
Morale de l'histoire: toujours passer par les soins intensifs pour un cancer.
Après sa chute de ski, Véronique n'a plus quitté le système hospitalier pendant un an, faisant face à la chirurgie, à la radiothérapie et à la chimio, aux incohérences d'un système de santé public atteint d'un cancer généralisé, probablement incurable lui aussi.
L'agence lg2, qui venait de l'embaucher, a fait signer une carte de prompt rétablissement aux employés. Ne sait quand reviendra. «Ils ont été "WOW"!» s'écrie la VP réjouie, qui a repris son poste en mars dernier et vient de lancer son récit chez Stanké, Plus fou que ça... tumeur!, à grand renfort de... publicités.
«J'ai donné carte blanche au créatif, je savais que ce serait "edgy". Je voulais que ça dérange, que ça fasse une différence auprès des gens atteints d'une maladie grave», raconte cette auteure inconnue qui a présenté son manuscrit à six maisons d'édition.
Cette campagne de pub inusitée pour un livre de chick lit (littérature de filles) a éveillé ma curiosité: «Chimiothérapie par le rire», «Faut être malade pour écrire ça», le message est provocant sans être déplacé, avec humour à la clé.
Malgré tout, les centres Énergie Cardio ont refusé de publier cette campagne jugée hors normes. L'arme de destruction massive de Véronique peut déranger, mais cette publicitaire s'est offert une sortie de placard non conventionnelle tout en gardant à distance les amis et la famille trop portés sur le drame.
«Si ma mère et mon chum n'avaient pas adopté la même attitude que moi, ça aurait été plus difficile. Nous avons bâti une forteresse autour de nous grâce à l'humour et ç'a aidé les enfants à faire tomber le stress quand ils nous voyaient blaguer au sujet du cancer. Nous n'étions pas dans le déni, mais ça nous redonnait du pouvoir», dit celle qui a été sciée par le décès récent du ministre Claude Béchard, à 41 ans. «J'ai réécouté l'entrevue qu'il a donnée à Paul Arcand. On dirait que c'est moi qui parle...»
Mettre le doigt sur le bobo
Au train où vont les choses, Véronique Lettre aura bientôt son émission à Canal Vie et verrait bien une Galère, version oncologie, en ondes. «Je suis devenue le courrier du coeur des cancéreux depuis la sortie du livre; je reçois dix courriels par jour sur le sujet. Les gens me retrouvent sur Facebook et m'écrivent. Ils rient et ils pleurent en me lisant.»
De fait, si on fait abstraction de la couverture trop fifille du livre, on découvre un récit tantôt amusant, tantôt poignant (j'ai accueilli Véronique à la cafétéria de l'hôpital Notre-Dame à travers mes larmes), écrit à quatre mains avec sa mère Christiane Morrow, un soutien moral et physique des premières heures durant ce long combat. «Nous nous sommes échangé le manuscrit en garde partagée durant plusieurs mois», explique Véronique, qui éprouvait l'urgence d'aider les autres à travers son témoignage.
La littérature de cancéreux abonde aux États-Unis, même dans la veine humoristique, mais au Québec, le livre de Véronique est une première après celui de Richard Petit (Détour imposé) et le fabuleux 5-FU de Pierre Gagnon, écrit sur un tout autre ton et de facture plus masculine.
Le cancer débarque dans la chick lit sans passer par le rose. «Le mois d'octobre me déprime», laisse tomber une Véronique qui a retrouvé ses cheveux mais dont le fond des yeux ne ment pas, baigné d'une douleur sourde. «C'est le mois du cancer du sein et il n'y en a que pour lui. La publicitaire en moi acclame, c'est réussi comme marketing: une couleur, une marche, le rose à lèvres, la bouteille de vin rosé, le porte-clés, la carte de crédit. Mais que va-t-il rester comme argent pour les autres formes de cancer?»
De fait, le cancer du cerveau fait partie des maladies dites «orphelines», avec «seulement» 8 personnes sur 100 000 (contre 101,7 sur 100 000 pour le cancer du sein). Et la guérison possible passe par la recherche, le nerf de la guerre. «Mon médecin m'a dit qu'au début de sa pratique, il ne voyait pas de cancers du cerveau chez des patients de moins de 50 ans. Aujourd'hui, ce n'est plus rare...», laisse tomber la publicitaire de 38 ans qui a mis des mois à affronter les statistiques afin de ne pas saper dans son capital d'espoir.
Une partie des droits d'auteur du livre sont d'ailleurs versés à la fondation du Dr David Fortin, hémato-oncologue et neurochirurgien au CHUS à Sherbrooke, où Véronique est désormais suivie. Pourquoi Sherbrooke, alors que l'auteure réside au centre-ville de Montréal? Parce qu'elle y a trouvé un spécialiste qui s'occupe de son dossier et qui peut lui traduire une phrase comme «zone d'hyperintensité en pondération T2 sous-corticale postérieurement et médialement à la zone de résection chirurgicale non spécifique et ne présentant pas de rehaussement post-gladolinium» sans lui donner l'impression d'être une demeurée, en plus des soins à l'échelle humaine, les rendez-vous à l'heure et un stationnement qui lui évite des contraventions.
C'est entre les deux oreilles que ça se passe
Véronique ne s'estime pas plus forte depuis sa maladie: «Je l'étais avant», laisse tomber celle qui a choisi la façon dont elle allait vivre cette aventure puisqu'elle n'avait pas le choix de la vivre. «C'était la seule chose que je contrôlais: mon attitude», écrit-elle. Son récit de battante ressemble à du journalisme d'enquête, un an sur le terrain à tester les absurdités de notre système de santé, un an à connaître les montagnes russes de l'espoir et du désespoir, à faire des rencontres inspirantes ou non, toujours teintées par cet humour tout-terrain, ponctué de dérision et d'empathie.
Aujourd'hui, Véronique a obtenu un A dans son bulletin de patiente: «Réponse complète» au traitement. Mais elle demeure une maman, une blonde, une patronne, avant d'être une malade courageuse qui n'essaie pas de passer pour une sainte et qui vit désormais par tranches de six mois.
Nullement portée sur l'ésotérisme, l'auto-apitoiement, l'introspection à la Guy Corneau (également victime d'un lymphome et qui publiera Revivre! en octobre) ou la lecture des livres d'Élizabeth Kübler-Ross, Véronique fuit toute tentative d'explication culpabilisante, vient de terminer le livre de David Servan-Shreiber (Anticancer), lui aussi atteint d'une tumeur cérébrale. Elle continue à faire du bénévolat au café du journal L'Itinéraire un avant-midi par deux semaines et rêve d'ouvrir les gymnases d'école à Noël pour abriter les itinérants, sa cause après le cancer.
La diète du Dr Béliveau? Elle ne peut plus sentir l'odeur de curcuma sans avoir la nausée et le thé vert n'a jamais été sa tasse de thé. Quant à savoir si elle a le cancer parce qu'elle a abusé du téléphone cellulaire, qu'elle a déjà mangé du Kraft Dinner ou parce qu'elle a écouté Passe-Partout, elle s'en fout: «Les enfants atteints du cancer ne se posent pas ce genre de questions. Ils sont plus zen que nous face à la maladie, ne perdent pas leur temps à s'analyser. C'est sûr que si tu fumes, t'as un cancer du poumon. Mais à un moment donné, il faut arrêter de s'acharner sur le sens.» Son message? Conserver le plaisir. Son phare dans la nuit? «Better live one day with the top down than a whole life in a box.»
En attendant la mort, la vie n'est pas un cercueil. Et, oui, le cancer du cerveau, «c'est entre les deux oreilles que ça se passe». Mais rien ne vaut une tête sur les épaules pour y faire face.
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cherejoblo@ledevoir.com
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Pleuré: en lisant le livre Une petite bouteille jaune, d'Angèle Delaunois et Christine Delezenne (Isatis), un album jeunesse qui traite des mines et des bombes à sous-munitions. Je ne sais si j'aurai le courage de lire à mon B ce livre qui parle d'un petit garçon qui ne peut plus jouer au soccer. Demain, de 11h à 18h au Square Phillips, une pyramide de chaussures sera organisée par Handicap International. Apportez des souliers pour enfants et adultes et des mouchoirs pour toute la famille. www.handicap-international.org.
Entamé: le récit de 700 pages d'Ingrid Betancourt, Même le silence a une fin (Gallimard). Dans le genre combat courageux, retour sur la peur, la solitude, les codétenus et la cruauté de l'espèce humaine, on peut se consoler en se disant que le cancer n'est peut-être pas la pire des maladies. Un livre dans lequel on embarque, bien écrit, qui fouille les tripes de la déchéance humaine. La vérité? Seuls les principaux intéressés la connaissent. Le témoignage n'en demeure pas moins unique et bouleversant.