Médias - Tout sauf ça
La rentrée d'automne est terminée, et vogue la galère médiatique. Les prix Gémeaux ont été distribués hier, afin de boucler la boucle de la dernière année télévisuelle. Le moment semble donc bien choisi pour parler de tout ce qui manque à la télévision, mais aussi à la radio ou dans les journaux québécois, de ces secteurs négligés, absents, pour ainsi dire morts médiatiquement.
Les émissions gagnantes ou en compétition hier prouvent à quel point la télévision québécoise offre du divertissement captivant et intelligent, surtout dans le créneau de la série dramatique et du documentaire. Très bien et merci.Seulement, la belle et brillante leçon ne fait pas école partout, comme le montre encore une fois la sous-représentation de certains genres dans les grilles et dans les publications. La carence est particulièrement frappante pour les arts, la littérature et les idées.
Prenons l'architecture, le design et l'aménagement urbain. Les chantiers se multiplient et les horreurs aussi dans la «bébelle» province. Les chantiers douteux poussent à Montréal. La banlieue tératologique multiplie ses monstrueux simili-châteaux de carton-pâte. Néanmoins, sauf ARTV avec Visite libre, les médias s'intéressent à tout sauf à ça.
Les arts de la scène «classiques» figurent aussi aux abonnés absents. Évidemment, les jeunes chroniqueuses culturelles (ou la vieille bande des Six dans la cité) en traitent, quoique leur intérêt pour la musique pop, la télé et le cinéma l'emporte largement. Bien sûr, les quotidiens font encore beaucoup d'efforts. Rien qu'au Devoir, il y a cinq critiques de théâtre. Seulement, à la télévision et à la radio, il ne reste aucune émission consacrée au théâtre. La musique classique et l'opéra accaparent très peu de place sur Espace musique où dominent «l'éclectique», souvent tout sauf ça.
On va objecter que les réseaux spécialisés s'en occupent. Pardon? La programmation d'ARTV n'a pas une seule émission sur les beaux-arts, alors que le monde vient de connaître ses trente plus importantes années pour le marché de l'art depuis quoi, la Renaissance? Si les arts visuels ne trouvent pas de place sur une chaîne culturelle, où devraient-ils trouver refuge? Pourquoi C'est juste de la TV (une très bonne émission, au demeurant) et pas C'est juste une exposition? En plus, ça nous changerait de toutes ces reprises, comme le soir à la Première Chaîne d'ailleurs.
La couverture du livre ne se porte pas beaucoup mieux à l'écran. À la radio, ça va. Radio Ville-Marie en parle beaucoup, dans son créneau marginal. La Première Chaîne de Radio-Canada (RC) propose deux émissions. Par contre, à part une production pour Vox, la chaîne communautaire, la télévision proscrit l'écrit.
Il y a donc de la place pour quoi, dix émissions de cuisine, mais pas pour une seule petite capsule sur les livres et leurs idées? Misère. Une disette similaire s'observe dans les quotidiens, et l'on n'a finalement que les médias que l'on mérite dans ce coin du monde fâché avec ça depuis toujours.
L'atavisme anti-intellectuel ne peut tout excuser. Une part de la faute revient certainement à cette obligation prégnante de tout traiter sur le mode jeune, branché, insignifiant et essoufflant imposé par MusiquePlus, pépinière à animatrices culturelles de tous les réseaux, privés et publics. L'émission AM de RC, pilotée par Anne-Marie Withenshaw, a poussé cet été cette logique jusqu'à ses ultimes et absurdes retranchements. Une autre cause vient peut-être de l'impopularité croissante des formes culturelles traditionnelles, les arts de la scène ou le livre millénaires, tout ça reculant alors qu'avancent tous les écrans contemporains.
L'argument vaut dans l'autre sens: si le théâtre ou les débats d'auteurs ou la musique classique passionnent moins, n'est-ce pas une excellente raison de plus pour les médias de faire oeuvre pédagogique, surtout pour la télévision et la radio d'État? Faut-il aussi rappeler que les intellos, petits et gros, comme les esthètes, payent certainement autant de taxes que les citoyens gavés de jeux télévisés débiles diffusés par les médias sous perfusion étatique?
Bien sûr, la BBC, France Culture ou ARTE ont des moyens qu'ARTV ou Télé-Québec n'ont pas. Seulement, chacun fait avec ce qu'il a, fait des choix et les assume. Toute affirmation est en même temps une négation. En défendant tel créneau, on rejette tel autre. Et dans ce cas, c'est trop souvent tout sauf ça...