Le farceur

Au retour de son séjour de réflexion sur la côte du Maine, après son exclusion du cabinet Charest, Pierre Paradis confiait qu'il en avait profité pour se replonger dans le petit essai intitulé Les valeurs libérales et le Québec moderne, que Claude Ryan avait rédigé l'été dernier, à la demande de Jean Charest.

Connaissant le personnage, j'avais cru à un simple trait d'humour dirigé vers le nouveau premier ministre, dont chaque geste semble l'éloigner un peu plus des principes qui avaient guidé ses prédécesseurs libéraux.

En entendant M. Paradis faire part de ses réflexions au collègue Pierre Maisonneuve, dimanche, il a bien fallu me rendre à l'évidence: ce farceur a bel et bien l'intention de poser en gardien des «valeurs libérales».

À la prochaine entrevue, il ne faudrait peut-être pas s'étonner de le voir dépoussiérer le rapport sur la pauvreté, que Daniel Johnson avait commandé au même M. Ryan, mais que M. Charest s'était empressé de tabletter, en 1998, préférant s'inspirer de Mike Harris.

Si le premier ministre s'était imaginé que son ancien leader parlementaire allait prendre son trou, il sait maintenant à quoi s'en tenir. Inutile de lui proposer quelque sinécure que ce soit. De toute évidence, il entend conserver son entière liberté de parole.

Dans son entrevue à Pierre Maisonneuve, il n'a surtout pas nié que le poste de chef du Parti libéral l'intéressait toujours, si jamais... Bien sûr, Pierre Paradis n'est pas Jacques Parizeau et le PLQ n'est pas le PQ. Il ne faut pas s'attendre à le voir se transformer en imprécateur du jour au lendemain. Il va attendre son heure patiemment. De toute manière, il attend depuis vingt ans.

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Il n'y a rien d'anormal à avoir de l'ambition. Déjà, en 1984, Bernard Landry avait franchement reconnu qu'il visait la direction du PQ. Il avait pratiquement perdu tout espoir quand l'occasion s'est finalement présentée, et la défaite ne semble absolument pas avoir diminué son plaisir d'être chef.

Dans les milieux progressistes, plusieurs ont crié à l'hypocrisie en le voyant se redécouvrir une âme de gauche, alors qu'il était perçu comme le mauvais génie de Lucien Bouchard, celui qui s'opposait à l'équité salariale et traitait Louise Harel de «Mère Teresa».

La prétention de Pierre Paradis à incarner la conscience sociale des libéraux risque de provoquer encore plus de scepticisme. Quinze ans après le fait, on se souvient encore de lui comme du père des «boubous-macoutes», comme on avait baptisé les inspecteurs qu'il avait lancés aux trousses des bénéficiaires de l'aide sociale, afin de débusquer d'éventuels fraudeurs. Une initiative qui lui avait d'ailleurs valu les éloges M. Parizeau, impressionné par son «courage politique».

Il est vrai que les héritiers de Jean Lesage ou même de Robert Bourassa peuvent difficilement se reconnaître dans le programme de Jean Charest, qui demeure essentiellement celui du chef conservateur qu'il était avant de débarquer à Québec. Que le reproche vienne d'un homme issu de l'Union nationale, qui n'était pas précisément une pépinière de sociaux-démocrates, ne manque pas toutefois d'ironie.

Même à vingt ans de distance, la «révision tranquille» qu'il proposait lui-même aux libéraux, lors de la course au leadership de 1983, sous le modeste slogan «Enfin! Pierre Paradis», rappelle étrangement la «réingénierie» de M. Charest.

«Le projet de gouvernement que je vous propose doit s'articuler autour de trois grands principes fondamentaux, expliquait-il: le respect intégral des droits et libertés de l'individu, le rôle moteur et la primauté de l'entreprise privée dans l'économie, l'appartenance non équivoque du Québec à l'ensemble canadien.»

Déjà, M. Paradis voulait «revoir l'ensemble de la réglementation québécoise», procéder à une «révision en profondeur du rôle des organismes publics et parapublics» et «privatiser certaines des fonctions assumées à l'heure actuelle par les sociétés d'État».

Au plan constitutionnel, le rapport Pelletier aurait pu reprendre mot pour mot ses passages sur «l'adhésion franche et sincère du Québec à l'ensemble canadien» et la nécessité de «travailler de concert avec nos partenaires canadiens».

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Bien sûr, tout le monde peut évoluer. La lecture des oeuvres de M. Ryan a pu éveiller M. Paradis à des réalités auxquelles il était moins sensible à l'époque. Qui sait, les commentaires élogieux de Sheila Copps lui ont peut-être fait découvrir toute la beauté du programme des garderies à 5 $!

On peut trouver M. Paradis un peu cynique, mais il faut lui reconnaître un certain flair politique. S'il commence à laisser échapper ce genre de remarques, c'est aussi qu'il sent que la dérive à droite du PLQ crée un risque de collision avec une bonne partie de la population, qui demeure malgré tout attachée à l'héritage de la Révolution tranquille. Pour l'heure, les militants libéraux sont grisés par la victoire, mais M. Paradis sait bien qu'ils ne sont jamais aussi heureux qu'au centre.

Le rôle qu'il prétend se donner comporte également des risques. Privé d'une place au cabinet qu'il pouvait légitimement escompter, il n'est pas astreint à la solidarité ministérielle, mais sa marge de manoeuvre demeure étroite. Entre la liberté d'expression et la dissidence coupable, la ligne est souvent très fine au sein d'un parti politique.

M. Paradis dit se donner l'été pour réfléchir à son avenir, mais si le respect des valeurs libérales lui tient tellement à coeur, cela devient un devoir de continuer à militer au sein du PLQ et, en conséquence, de demeurer député. D'ailleurs, pourquoi partir? Sa famille est pratiquement élevée, son bureau d'avocats lui permet d'arrondir les fins de mois et il adore la politique. Surtout, pourquoi ferait-il ce plaisir à M. Charest? La farce est beaucoup trop drôle pour y mettre fin.

mdavid@ledevoir.com

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