Ce bouchon, il cheville ou il juponne ?

Le courriel tombait pile. «Je trouve bien curieux l'aspect filiforme du bouchon de champagne mais surtout le pop!, ou, devrais-je plutôt dire, le pfuiiittt! pour le moins silencieux qui a suivi l'ouverture de la bouteille. Est-ce préjudiciable à la qualité?» Courriel d'autant plus intéressant que, hasard, coïncidence ou alignement fortuit de planètes qui ne s'étaient nullement consultées pour l'occasion sur leur position respective, je venais personnellement, sur trois bouteilles consécutives, de vivre la même expérience! Remarquez, cela aurait pu aussi se produire sur de simples bouteilles de mousseux.
Cela me rappelle d'ailleurs une situation similaire, au restaurant celle-là, avec, une fois de plus, trois bouteilles du même vin, mais tranquilles, tous bouchonnés. Imaginez la tête du sommelier: petite impatience dans le gras du mollet, sans compter le haussement d'épaules d'usage. Mon conseil: tenez bon. Vous ne perdrez certes pas la face en demandant l'opinion du sommelier, mais reste qu'un vin bouchonné ou manquant de netteté doit être remplacé. Ayez confiance en vous sans pour autant jouer les petits malins.Mais revenons à notre courriel. L'aspect filiforme du bouchon de champagne en question indique déjà que le dégorgement (opération consistant à éjecter le dépôt de levures emprisonné dans le goulot) n'est pas récent. On dit alors du bouchon qu'il «cheville», contrairement à un autre qui reprend sa forme «champignonnée», qu'il «juponne». Mignon comme terme. Ajoutez un stockage inadéquat (bouteille verticale, mal ou trop longtemps entreposée) avec, au final, une possibilité de perte de fraîcheur, de dégazage, voire d'oxydation prématurée. Sur le plan gustatif, votre champagne semble avoir alors plus de rondeur, de vinosité, avec ce goût «anglais» plus «noix beurre noisette» qu'affectionne tant, justement, le palais anglosaxon. Ce n'est pas mon truc, mais c'est une affaire de goût. À noter aussi qu'un champagne, à l'instar d'un vin tranquille, peut aussi être bouchonné.
Mes trois bouteilles à moi? Le Champagne Veuve Clicquot Ponsardin Brut Vintage 2002 (89 $ - 508614). Si elles n'étaient pas défectueuses au sens propre en raison d'obturations similaires (cheville), elles avaient par contre toutes en commun le fait de manquer de fraîcheur, comme si le génie du champagne avait plié bagage en se faufilant entre le col et le liège.
Ce qu'il y a tout de même d'extraordinaire, c'est que ce grand vin mousseux avait malgré tout une race, une profondeur, une longueur magnifiques. Très recommandable, à condition de ne pas tomber sur le même lot que moi! À propos, je ne serais pas surpris que la cargaison de vieux champagnes du XVIIIe siècle découverts sous la mer il y a quelques jours aille dans le même sens...
***
Dégustés cette semaine, avec un bonheur qu'il m'est difficile de ne pas partager avec vous, ce Chianti Classico 2006, Fontodi (28,05 $ - 879841). On ne s'égare pas ici. On concentre plutôt. Et on le fait avec une classe peu commune. Comme si on avait saisi l'équilibre même du sangiovese, sa façon à lui de concentrer tout en se drapant d'élégance, de fraîcheur, de subtilité même. L'étoffe est mûre, presque sucrée, l'élevage, un hymne au cépage qui demeure sur le devant de la scène, avec style et panache. Pour tout vous dire, l'un des trois meilleurs chiantis sur le marché actuel. Top! ****, 2. ©
Voilà pour la mise en bouche. Trois barolos, maintenant.
- Barolo 2005, Fontanafredda (30,75 $ - 020214): le plus léger en couleur des trois. Le moins concentré aussi, mais pourvu d'un fruité juste, de ce caractère aromatique typique d'herbes et de fleurs fanées, de cette trame tannique fine qui muscle et assoiet le fruit sur son trône, sans concession. C'est frais, mûr, ferme et de belle longueur. Une initiation fort pertinente aux grands nebbiolos de l'appellation. ***, 2. ©
- Barolo 2005, Prunotto (49 $ - 718601): bouquet déjà plus large, fin et nuancé, captivant comme au cinéma, où s'installe doucement cette scène d'amour que l'on ne veut pas quitter des yeux. Les saveurs suivent, créant une architecture de rêve au palais, suggérant la solidité avec des matériaux souples, flexibles et résistants. Ensemble lié avec rigueur et conviction, imposant une fois de plus cette espèce de fascination qui interdit qu'on détourne son attention. Classe et distinction. ****, 3. ©
- Barolo 2003, Dardi Le Rose Bussia, Poderi Colla (61,75 $ - 10816775): comme le disait si justement ma conjointe, dont les goûts en matière de vin l'orientent le plus souvent vers des vins plus élancés, ce rouge réussit le pari de la puissance sans toutefois écraser le palais, demeurant libre, en constant état de grâce. Je n'aurais pas dit mieux.
C'est le propre d'ailleurs du grand vin, subtil, presque volatil, mais ancré corps et âme dans cette réalité où les éléments se transforment, muent vers autre chose encore une fois d'impalpable, d'intemporel. Effet d'un millésime solaire, exposition et nature du cru, toujours est-il que ce barolo arrive tout doucement à son plateau de maturité, plateau qu'il ne quittera pas de sitôt. Dégagé, au nez comme en bouche, détaillé, profond, avec retour incessant du fruité transformé ici sous une version plus minérale de graphite, d'encens, de rose déchue. Long et spirituel. Vin d'esthète. ****, 2. ©
Enfin, savourés sur les ondes de Radio-Canada à Matane en début de semaine, lors de l'émission Bon pied, bonne heure, deux vins, dont ce Pirate of Cocoa Hill 2007 de Christoph Dornier (14,55 $ - 10679361) que semblait particulièrement affectionner l'équipe de l'animateur Yves Larouche.
Avec raison, d'ailleurs, car ce rouge aromatique de fort caractère issu des terres rouges d'Afrique du Sud avait tout pour stimuler ce bourgeon gustatif matinal encore égaré dans les brumes du Saint-Laurent local. Assemblage rudement efficace du trio de cépages bordelais avec cette touche de syrah qui étoffe et enrichit, enrobant le caractère végétal et poivré des cabernets et prolongeant une finale habilement marquée par l'élevage en fût. Un régal sur le poulet aux olives. ***, 1.
Pour calmer l'ardeur contagieuse du sud africain, ce Chardonnay 2007 du Jurassien Stéphane Tissot (25,35 $ - 11194701), qui s'invitait tout naturellement pour le lunch sur une salade de pommes de terre, câpres et esturgeon fumé. Les habitués qui suivent le travail passionné de Tissot retrouveront une fois de plus un blanc sec brillant comme une lame démultipliant son caractère fruité en fonction d'innombrables reflets et autant de registres savoureux. Impression de chenin blanc par la nuance de tilleul, de pomme et de minéral par sa filiation chablisienne, sans compter cette touche fine de «jaune» typique justement du grand Vin Jaune local. La finale? Toujours persistante 30 minutes après l'émission! ***1/2, 2. ©
***
La belle affaire
Mirone 2009, Tarragone
Espagne (8,95 $ - 10803085)
Il atterrit de tout son poids en tablettes sans se soucier de mettre des gants blancs. Plutôt des gants de boxe habitués à tabasser le fruité sans que ce dernier ne se dégonfle! Assemblage percutant de monastrell et de tempranillo à la fois coloré, juteux, intense, d'une ligne fruitée très claire. 1.
***
L'Autrichien
Grüner Veltliner 2009
Domaine Gobelsburg, Autriche (15,30 $ - 10790317)
Il est comme ça, le grüner veltliner, fantasque à ses heures, limite délinquant, mais toujours il intéresse car il est transparent et sincère. Celui de ce domaine offre une tension supplémentaire: sec, droit, soutenu. Aussi: Riesling 2009 (18,20 $ - 10790309). 1.
***
La primeur en blanc
Les Clos de Paulilles 2008
Collioure (20,90 $ - 11096028)
Nous sommes au pays des grenaches qui regardent la Méditerranée à partir des contreforts des Pyrénées, en l'occurrence de grenaches blancs chauffés par ces schistes qui leurs assurent corps, volume et esprit. Ajoutez un élevage soigné pour une bouche soyeuse, fine et longue. 1.
***
La primeur en rouge
Héritages 2007, Côtes du Rhône Ogier (14,55 $ - 535849)
Voilà un bon côtes-du-rhône de facture classique, nuancé par l'assemblage judicieux des cépages mais tout de même pourvu, dans ce millésime, d'une chaleureuse musculature qui lui assure rondeur et plénitude. Rustique, oui, mais un régal sur votre saucisse grillée. 1.
***
Le vin plaisir
Notre Terre 2007, Mas Amiel Côtes du Roussillon Villages (20,45 $ - 10779804)
Les terroirs de schistes du domaine arborent une noblesse de ton qui distingue rapidement la cohérence entre grenaches, carignans et syrahs. Pureté aromatique florale, épicée et fruitée, et bouche doucement musclée, surtout fraîche, pure et balancée. 2 .
***
- Potentiel de vieillissement du vin: 1, moins de cinq ans; 2, entre six et dix ans; 3, dix ans et plus. ©: le vin gagne à séjourner en carafe.
- Jean Aubry est l'auteur du Guide Aubry 2011 — Les 100 meilleurs vins à moins de 25 $, à paraître en octobre prochain.
***
www.guide-aubry.com