Revue de presse - L'art de se tirer dans le pied
On aura beau dire, le premier ministre Stephen Harper n'a pas vraiment eu une bonne semaine, d'autant qu'elle s'est terminée avec un sondage le montrant au coude à coude avec les libéraux, l'avance de 11 points que lui accordait Ekos au début de l'été ayant fondu comme neige au soleil. Selon Don Martin, du National Post, cela démontre la nécessité pour le premier ministre de se concentrer sur les vrais enjeux. «L'habitude qu'a M. Harper de se lancer dans des batailles inutiles devrait attendre qu'il atteigne la terre promise d'une majorité, ce qui ne sera possible que s'il cesse de s'échauffer, avec un zèle partisan, pour des vétilles.» Martin cite l'attaque contre le financement des partis politiques à l'automne 2008 et l'abandon du questionnaire détaillé du recensement en juin. Ce dernier geste a seulement réussi à donner un os à ronger à l'opposition et aux médias durant tout l'été. Le pire, note Martin après avoir entendu le chef conservateur parler à son caucus jeudi, est que le gouvernement semble avoir bien peu à offrir pour l'automne, au-delà des conjectures électorales. Faute d'idées neuves ou «volées à d'autres», prédit Martin, les conservateurs courent à leur perte.
Lawrence Martin, du Globe and Mail, est persuadé que bien des conservateurs se demandent pourquoi leur parti, sous Stephen Harper, continue de piétiner dans les sondages après quatre ans au pouvoir. Le chef conservateur peut toutefois se vanter d'avoir réussi à saigner les libéraux et à les tenir en échec comme personne avant lui. Harper s'est d'ailleurs toujours donné comme mission de mettre fin à la domination du parti de Laurier et il «s'y est consacré à l'excès. Ceci explique sa passion pour la politique de destruction — les publicités négatives, les campagnes de dénigrement, la tentative d'éliminer le financement public des partis, la transformation de son parti en machine politicomilitaire». Selon Martin, il a réussi à miner les libéraux, mais entre-temps, il n'a pas fait avancer son propre parti et son gouvernement affiche un des plus faibles niveaux d'appui de l'histoire. «Au pays de Harper, tout le monde touche le fond, y compris la démocratie», écrit le chroniqueur.James Travers, du Toronto Star, présente plutôt Harper comme un phénomène politique. En cinq ans, son parti a pris le pouvoir et le conserve toujours «en menant le pays là où il ne veut pas aller». «Stephen Harper y est parvenu grâce à des calculs habiles et une organisation supérieure, ce que la plupart dans la capitale nationale croyaient impossible.» Travers note le chemin parcouru par les conservateurs depuis 2006. «Dit simplement, les conservateurs de Harper sont meilleurs que leurs rivaux à tous les aspects d'un sport sanglant qui, de plus en plus, se joue passé les frontières tracées par les règles traditionnelles.» En matière de gouvernance, ils ont pu faire bouger le pays sur son axe en procédant par petites touches. Le Canada est «un endroit différent, parfois difficile à reconnaître», dit Travers. Il note toutefois qu'il existe une limite imperceptible à laquelle s'est buté plusieurs fois le premier ministre, parce qu'il voulait aller trop vite ou trop loin. De la prorogation à l'avortement en passant par le recensement, «ces exemples ont un dénominateur commun. Chacun a forcé les électeurs à regarder de plus près le premier ministre» pour ensuite freiner son élan, dit Travers, qui y voit un avertissement pour Harper.
Pieds dans les plats
Le président du Conseil du Trésor, Stockwell Day, n'a pas aidé son patron, cette semaine, quand il a tenté de justifier la construction de nouvelles prisons, en ces temps de déficit et de diminution du taux de criminalité, en invoquant le nombre de crimes non rapportés. Les caricaturistes se sont payé sa tête. Les éditorialistes l'ont taillé en pièces, y compris le National Post. «Les crimes n'étant pas rapportés, il y a évidemment peu de chances d'avoir des arrestations et des condamnations. Sans criminels à incarcérer, toutes ces nouvelles prisons vont rester vides, à moins, comme on l'a laissé entendre, que le gouvernement Harper n'envisage de porter davantage d'accusations contre davantage de petits criminels et fumeurs de pot», écrit le Post.
Le Halifax Chronicle-Herald note que si le coût du système carcéral doit exploser, ce ne sera pas parce que la criminalité est en hausse, mais parce que les politiques fédérales et provinciales des dernières années mènent plus fréquemment à des peines d'incarcération qui sont, par ailleurs, plus longues. Le Globe and Mail relève un chiffre que Day omet de mentionner: la facture de 4,4 milliards qu'Ottawa et les provinces paient déjà et qui doublera à la suite d'une seule loi adoptée par les conservateurs. Le Toronto Star s'inquiète de son côté de «l'émergence d'une tendance chez les conservateurs lorsqu'ils tentent de faire coïncider les faits avec leurs penchants idéologiques: confrontés à de l'information contraire, ils se retranchent dans le rêve». L'Edmonton Journal va dans le même sens alors que le Calgary Herald, partisan d'une politique musclée de lutte contre la criminalité, croit que «le gouvernement s'expose ainsi à se faire accuser de planifier sur la base d'anecdotes».
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