Pour en finir avec les cents

Le gouvernement fédéral songe une fois de plus à alléger le porte-monnaie des consommateurs canadiens. Mais cette fois, l'homo consumus — et tous ceux qui l'entourent — pourrait ne pas trop s'en plaindre. Au contraire.
Une preuve? Cette semaine, le Comité sénatorial des finances nationales a fait rouler dans sa poche, pour une deuxième fois en deux semaines, une question cruciale pour la population: la pièce d'un cent, ce sou noir de 2,6 grammes plaqué de cuivre, avec son Élisabeth à l'avers et sa feuille d'érable au revers, mérite-t-il de maintenir sa présence dans l'environnement monétaire canadien? Et s'il devait disparaître pour toujours, tiens, est-ce que, collectivement, nous allons vraiment nous en ennuyer?L'idée de rouler définitivement ces cents, dont 20 milliards d'exemplaires — soit de quoi faire 9,5 fois le tour de l'équateur — sont actuellement en circulation au pays, n'est pas nouvelle. Elle vient aussi d'animer les discussions de ce comité du Sénat qui s'est donné pour mission d'évaluer les coûts et bénéfices de cette pièce plutôt ennuyante pour les contribuables et l'économie canadienne. Et ce, alors que la Monnaie royale canadienne a été invitée par les autorités monétaires à faire des économies en revoyant ses façons de faire.
L'appel lui a été lancé dans le budget 2010. Ottawa a résumé le projet en le qualifiant de modernisation de notre système monétaire. Mais le gouvernement aurait aussi pu parler d'un important délestage.
C'est que, bon an, mal an, si l'on se fie aux données fédérales, les Canadiens en âge de consommer transportent sur eux pas moins de 1,5 kilo de sous noirs, soit l'équivalent de 600 pièces d'un cent qui, une fois roulées, correspondent à pas moins de 77,5 rouleaux. C'est pas mal.
Or, ces morceaux de cuivre que l'on appelle argent n'ont pas toujours la vie facile. Jugés encombrants par certains consommateurs, ils finissent parfois à la poubelle (ça arrive, y compris dans les bonnes familles!) ou encore dans le fond d'un tiroir, d'une bouteille de Chianti vide, d'un pot en verre, d'une jarre, d'un vide-poche où ils peuvent croupir pendant des années, avant de revenir sur le marché par l'entremise du programme de recyclage mis en place par la Monnaie royale canadienne. Entre autres.
Le corollaire est donc facile à mesurer: chaque année, près de 500 millions de cents doivent être produits afin d'alimenter le milliard de pièces que les responsables de la monnaie au pays doivent remettre en circulation pour combler les effets de cette épargne de fond de bouteille (un autre montant de 500 millions est récupéré dans les pots à cents des ménages canadiens). Et ce, pour une facture qui peut facilement atteindre le milliard de dollars.
Pause commerciale: cette pièce, plaquée de cuivre depuis 1996, coûte en effet moins d'un cent à produire, oui, mais plus d'un cent à produire et à distribuer, a expliqué devant le comité Beverley A. Lepine, chef des opérations à la Monnaie royale canadienne. Un milliard de dollars, c'est 260 000 tonnes de sous noirs et c'est aussi pas mal d'argent qui pourrait être affecté à d'autres postes budgétaires si le Canada décidait de forcer un peu l'arrondissement des prix. Histoire de faire disparaître son sou.
Dans les années 70, la Suède a d'ailleurs succombé à la chose en mettant au rancart ses pièces de 1 et 2 kronor (les «cents» de la Couronne). La Nouvelle-Zélande a fait la même chose en 1989, en plus d'avoir retiré ses pièces de 5 cents en 2006. Quant à l'Australie, son territoire est également exempt des petites pièces de 1 et 2 cents. Le pays semble aussi, tout comme l'a fait son voisin par le passé, remettre en question la survie de sa pièce de 5 cents.
En questionnant la pérennité de son cent, le Canada est donc loin de sortir une idée saugrenue de son chapeau. Et le sous-gouverneur de la Banque du Canada, Pierre Duguay, assure même que cette mesure n'aura finalement pas d'impact sur les finances des Canadiens autre que d'enlever du lest dans leur poche, car, selon lui, l'arrondissement des prix aux 5 cents supérieurs dans un cas et aux 5 cents inférieurs dans un autre, aurait pour effet de n'avantager ni les commerçants ni les consommateurs. Les transactions électroniques, par carte de crédit ou débit, ne seraient pas affectées, les cents, dans ce cas, n'ayant pas besoin d'être arrondis.
Et, forcément, pour toutes ces bonnes raisons, on peut se demander aujourd'hui pourquoi la condamnation du cent canadien n'a pas été encore décrétée.
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.