Théâtre - Twitter twit

La scène a quelque chose de surréaliste... Vous assistez à l'un des spectacles de théâtre les plus percutants jamais présentés ici, Les Tragédies romaines d'Ivo Van Hove d'après Shakespeare, une sorte de concentré pur jus de Coriolan, Jules César et Antoine et Cléopâtre coulé dans une forme éblouissante, éminemment moderne, percutante. Vestons cravates. Écrans télé. Vidéo en direct. Aires de jeu multiples englobant le spectateur.

Six heures de remises en question radicales sur le pouvoir et la fragile évolution du concept même de la démocratie; six heures à explorer sur le dur terrain de la vie, de la mort et de la guerre l'éclosion de rapports plus que moins justes, enfin, entre les hommes. Six heures de violences ordinaires et extraordinaires en direct, de souffrances et de tiraillements divers. Six heures de bonheur aussi intense qu'exigeant. Sur fond de textes d'une justesse et d'une acuité tout aussi modernes que résolument sidérantes de pertinence. Shakespeare quand même!!!

Bref, vous êtes déjà soufflé quand arrive le premier changement de décor et que l'on invite les spectateurs à circuler comme les citoyens romains — les patriciens plutôt — le faisaient au Sénat et à s'installer sur le plateau où sont encastrés des espaces multiples avec fauteuils entre lesquels jouent les comédiens suivis par des caméras placées un peu partout. Englobant, qu'on vous disait.

Il y a même là une sorte de bureau d'accueil avec connexion Internet d'où l'on peut twitter ses commentaires sur le spectacle durant, justement, les changements de décor. Et c'est là que la tragédie prend tout son sens. Quand on lisait, dimanche soir, ces commentaires défilant sous l'écran principal occupant la moitié de la scène, il y avait de quoi se désespérer à jamais du genre humain...

Les trois ou quatre vrais — laissons tomber les «brillant!» et les «loved, loved, loved!» — messages en direct que j'ai vus circuler là étaient d'une bêtise à faire pleurer. Des trucs dans le genre: «je suis là à côté des acteurs, sur scène durant Les Tragédies romaines, wow!»; «je suis dans la Cage aux sports du théâtre, sur scène!»; «directly from stage aux Tragédies romaines, la comédienne à côté de moi mange un sandwich en pantoufle!». Moi. Je. Là. Avec Shakespeare. Wow!

Wow, en effet. On n'en croit pas ses yeux! Crucial tout ça les mecs! Heureusement que vous êtes là!

Et on est pourtant au FTA! Avec un public FTA qui est plus public FTA qu'usager de Twitter.

Mais au fond, ce n'est quand même pas si étonnant! Twitter c'est Twitter et Shakespeare, c'est Shakespeare. Comment arriver, en 140 caractères, à faire sentir quelque chose de cohérent et de valable sur un sujet comme le pouvoir... Comme si on pouvait offrir une opinion nuancée, développer une idée ou exprimer un sentiment vrai en une ou deux phrases. Comme si Twitter avait été conçu pour exprimer autre chose que des consensus admis, des clichés départagés à peu près également en pour et en contre ou des one-liners dévastateurs susceptibles de rallier la majorité à un sentiment de participation à quelque chose d'unique. À quoi au juste sinon à la plate circulation de l'immédiateté vide de sens; rien dimanche soir ne permettait du moins d'en penser autre chose... Seulement cela.

Alors que, tout juste à côté, les comédiens d'Ivo Van Hove se mettent en bouche six heures d'un texte dense à vous en gercer les dents. Bizarre d'idée tout de même que de mêler tant de profondeur à quelque chose d'aussi mince. À côté de Shakespeare, on ne pourra jamais que twitter... twit. Non?

À moins que les gens du FTA, tout comme ceux du Toneelgroep Amsterdam que dirige Ivo Van Hove, aient voulu nous faire saisir là quelque chose...

En vrac

-Ceux et celles qui n'auront pas réussi à trouver de billets pour assister à la trilogie du Sang des promesses et à Ciels de Wajdi Mouawad présentés au FTA le week-end prochain (et à Québec aussi cette semaine) pourront se consoler en visitant l'exposition de photographies Promesses tenues de Jean-Louis Fernandez. Ces photos ont été prises, entre Chambéry et Avignon, durant les répétitions des spectacles. Notons aussi que Wajdi Mouawad s'est chargé des légendes. L'exposition est présentée dans le Grand Foyer culturel de la Place des Arts (près de la billetterie) jusqu'au 11 juin. C'est une présentation du Festival TransAmériques en collaboration avec la Place des Arts. L'entrée est gratuite.

-Le Centre des auteurs dramatiques (CEAD) est à la recherche de textes pour la deuxième édition du prix Michel-Tremblay (accompagné d'une bourse de 20 000 $) remis au meilleur texte dramatique et pour la troisième édition du prix Louise-LaHaye (10 000 $ plus un statut d'auteur associé à la Maison Théâtre) qui récompense le meilleur texte dramatique jeune public. Ces prix sont ouverts «à tous les auteurs francophones d'ici ayant vu un de leurs textes créé à la scène au Canada ou à l'étranger au cours de la saison 2009-2010». Les auteurs intéressés ont jusqu'au vendredi 18 juin pour soumettre leur candidature. On trouvera les critères d'admissibilité et les procédures de mise en candidature sur le site du CEAD. Les noms des lauréats seront dévoilés au courant de l'automne 2010.

-Toutes les façons sont bonnes pour amener les jeunes au spectacle; c'est ainsi que l'Usine C, dans le cadre de son 15e anniversaire, lance le premier Jury des Étudiants. «Durant la saison 2010-2011, explique le communiqué, les étudiants seront invités à développer leur sens artistique, à consolider leurs capacités d'appréciation, à évaluer les performances d'un spectacle et à décerner des prix selon plusieurs catégories.» On en saura un peu plus en consultant le site de l'Usine et en remplissant le formulaire d'inscription (www.usine-c.com/documents/Jury.pdf). Notez qu'il faut être disponible pour assister aux spectacles proposés par l'Usine C entre septembre 2010 et juin 2011... et aux ateliers du jury étudiant durant l'année. Les candidatures doivent parvenir à l'Usine C avant le 31 juillet. Il sera intéressant de voir comment la proposition sera reçue...

-Rick Miller fait partie de l'équipe de Lipsynch — qui triomphe à Naples ces jours-ci — de Robert Lepage que l'on a pu voir dans sa version définitive au Théâtre Denise-Pelletier il y a quelques mois; c'est lui qui jouait, entre autres, le rôle du chirurgien allemand travaillant à Londres. On vous en parle ici parce que le comédien présentera pour la première fois en français à Montréal, Bigger than Jesus qu'il a écrit avec Daniel Brooks. Le communiqué présente la production, créée en 2004, comme «une messe multimédia drôle et poignante qui questionne les mystères de la vie et nous livre différents points de vue modernes et historiques sur le christianisme». Le spectacle qui sera présenté au Quat'Sous du 8 au 19 juin a déjà tourné au Canada, aux États-Unis et en Europe. On peut réserver ses billets au % 514 845-7277.

-Les centaines de milliers de lecteurs (estimation rapide) qui se sont demandé où j'étais passé la semaine dernière seront ravis d'apprendre que j'ai investi dix jours à Bruxelles et à Charleroi à suivre le festival jeunes publics L'Art et les tout-petits. On s'en reparle un peu plus tard, de l'autre côté du FTA...

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Correctif du 3 juin: Dans Lipsynch de Robert Lepage, le comédien Rick Miller joue plutôt le rôle du film Jeremy, en plus d"une douzaine d'autres.

À voir en vidéo