Nous allons tous devenir des pachas numériques

L'humanité ne pouvait rester sur un tel échec. Promise, louangée, chantée, attendue, mais surtout fantasmée, la société des loisirs, celle qui allait nous éloigner du travail pour mieux nous faire savourer quotidiennement les fruits de l'oisiveté, n'a finalement pas vu le jour.
La chose est bien triste, mais pas désespérée, à en croire les gourous des tendances et autres prédicateurs d'un avenir meilleur, qui semblent être aujourd'hui catégoriques: oui, le repos à toute heure du jour ou de la nuit nous est passé sous le nez, mais la technologie émergente, celle des téléphones intelligents, va nous permettre de devenir des pachas numériques, des consommateurs assistés partout sur la planète. Et on risque d'en redemander, clament-ils.Trendwatching.com, une publication en ligne qui aime nous dire à quoi demain va ressembler, y croit d'ailleurs dur comme fer. Le brand butler, comme disent les spécialistes du marketing de Toronto, où le marketing de l'assistanat se prépare plus que jamais à avoir le vent dans les voiles, selon eux. Avec, en trame de fond, une révolution commerciale annoncée: à l'avenir, les grandes marques, les marchands de rêves, ne vont plus chercher à nous vendre un style de vie, comme dans le bon vieux temps. Ils vont plutôt chercher à nous vendre une vie quotidienne plus facile. Comment? En plaçant un majordome virtuel dans notre poche de pantalon. On en trémousse déjà de bonheur.
Le marketing de l'assistanat n'est pas nouveau. Ces dernières années, plusieurs marques ont cherché à se montrer serviables pour les consommateurs afin de mieux paraître. Au début du siècle, par exemple, une multinationale du lait pour nourrisson a ouvert, à l'aéroport d'Amsterdam, un salon pour les mères voyageuses avec espace de détente, service de gardiennage et zone de changement de couche.
Ailleurs, c'est le fabricant du papier de toilette Charmin qui n'a pas hésité à ouvrir des lieux d'aisance dans les coins urbains où il n'y en avait pas. Charmant.
La tendance est là. Et la technologie du numérique, du portable et du cellulaire risque de la rendre lourde, prévient la publication en ligne, qui décline facilement les conditions gagnantes pour cette amplification du marketing de l'assistanat: des consommateurs de plus en plus branchés à des téléphones intelligents, mais aussi une démocratisation de la géolocalisation qui permet de savoir en temps réel où se trouve ce consommateur à qui l'on peut alors facilement proposer des services sur mesure.
Traquer le guichet
La multinationale des taux d'intérêt et des frais bancaires Mastercard l'a d'ailleurs bien compris en lançant récemment son «traqueur de guichets» pour iPhone. Le principe: un petit assistant qui, selon l'endroit où l'on se trouve sur la planète, nous aide à trouver le guichet automatique le plus près de nous. Pratique, surtout quand on n'est pas dans le confort de notre quartier.
En mode 2.0, l'idée cherche d'ailleurs à se décliner sous une multitude de formes et sous l'impulsion d'une multitude de marques qui veulent nous aider à trouver un hôtel, une station-service, un restaurant. Entre autres. Domino's Pizza, lui, propose de nous aider à suivre notre pizza de la commande à la livraison. Pourquoi? Il ne l'explique pas.
Cet assistanat peut aussi prendre des formes étranges, comme le démontre Nissan, le fabricant de voitures dont le majordome numérique propose une aide pour se retrouver dans... 45 stations de ski européennes dont la superficie, à la hauteur des montagnes sur lesquelles elles s'accrochent, peut effectivement devenir un problème. Nissan offre donc des cartes dynamiques, mais aussi une fonction qui permet de suivre à la trace (de poudreuse) ses amis sur le domaine skiable. C'est gentil.
Autres lieux, autres types de service d'aide pour consommateurs: Virgin Atlantic, la compagnie aérienne, propose à ses clients un majordome virtuel pour les aider à trouver, dans leur avion, des passagers qui, à l'arrivée, voudraient partager un taxi avec eux. Ikea fait la même chose pour mettre en relation, dans ses magasins, des adeptes du covoiturage.
On s'en voudrait également de passer sous silence l'assistant de Nivea — un pourvoyeur de crèmes hydratantes — qui, au Brésil, a mis sur le marché des applications pour téléphones cellulaires son Nivea Sun. Objectif? Fournir à ses clients des informations sur les conditions climatiques de l'endroit où ils se trouvent et leur suggérer la crème protectrice adaptée. Non, le progrès ne s'arrête pas.
On l'a compris: le marketing de l'assistanat n'est pas totalement désintéressé et cherche, au final, à nous faire acheter des choses.
Mais il s'accompagne aussi d'une délicate question que les analystes de l'air du temps semblent très peu nombreux à poser: abusant de la géolocalisation, ces services d'aide vont aussi être de puissants outils de surveillance des consommateurs, que les marques vont pouvoir alors suivre à la trace, en temps réel, peu importe où ils se trouvent sur la planète.
Et vont-elles le faire avec la même discrétion qu'un véritable majordome? Pas sûr.