Le président et l'hyperprésident

On accède aux plus hautes fonctions avec les plus belles intentions. Puis, survient une crise, une guerre ou une calamité naturelle et ces beaux programmes ne sont plus que promesses «que vent emporte», comme dirait ce pauvre Rutebeuf. Pourtant, c'est à leur capacité de traverser l'adversité et de tenir leurs promesses qu'on juge les hommes politiques.

Lors de l'élection de Barack Obama, on a proclamé que le moment était historique. J'ai toujours cru qu'il ne le serait vraiment que si Obama donnait aux Américains un véritable régime d'assurance maladie. C'est pratiquement chose faite. Bien sûr le régime, dont la loi devrait être revotée pour des raisons techniques, n'est pas exactement celui qu'il avait promis. Le projet fait la part belle aux compagnies d'assurances, qui prendront en charge les Américains les moins susceptibles de tomber malades, alors que le service public est relégué à la marge. Mais, compte tenu des difficultés, le geste est historique. De même faut-il savoir gré à Barack Obama d'avoir calmé le jeu en Irak pour concentrer ses forces en Afghanistan comme il l'avait promis. Cela ne signifie pas que la stratégie du président sera victorieuse. Cela signifie que les Américains savent au moins où leur président s'en va.

Ce n'est pas le cas des électeurs français, qui ont administré dimanche dernier à Nicolas Sarkozy une raclée historique au second tour des élections régionales. Pour juger de son action il faut, comme pour Obama, se rappeler pourquoi il avait été élu. L'exercice n'est pas facile tant cet «hyperprésident» a fait de volte-face. Mais on peut tout de même conclure que si les Français avaient choisi Sarkozy, c'était d'abord pour assouplir certains rouages grippés de l'économie française et jouir de cette croissance dont ils avaient été privés au cours de la décennie précédente.

Or, pendant qu'Obama s'entêtait et gardait le cap, Nicolas Sarkozy s'agitait et se dispersait. On pourra bien sur incriminer la crise, mais celle-ci n'est apparue que durant la seconde année de son mandat. Elle n'explique pas pourquoi le président a gaspillé sa période de grâce et utilisé sa marge financière pour une réforme inutile favorisant les heures supplémentaires et une autre injuste réduisant l'impôt des plus riches. La seule grande réalisation du début de son mandat consista à donner une certaine indépendance aux universités. Pour le reste, le président s'est contenté de demi-mesures, quand il n'a pas tout simplement reculé. Comme ce jour où les chauffeurs de taxi menacèrent de paralyser Paris s'il libéralisait l'industrie du taxi. Malgré ses discours sur la rupture, Sarkozy a noué une alliance avec la CGT, ce qui en fait un président plutôt accommodant pour les syndicats.

Avec la crise, ceux qui souhaitaient de véritables réformes économiques ne se font plus guère d'illusions. Même un économiste de droite comme Nicolas Baverez, dont les thèses sur le déclin de la France avaient inspiré le programme de Sarkozy, dresse un constat d'«échec du programme de modernisation lancé en 2007». Pour Baverez, en annonçant récemment au Figaro magazine une «pause» dans les réformes, «Nicolas Sarkozy rend les armes et rompt avec la rupture».

Étrangement, le président aura réussi le tour de force de décevoir à la fois les libéraux, qui n'ont jamais vu la couleur des réformes espérées, et les conservateurs qui ne se reconnaissent pas dans un président adolescent qui bouscule le décorum, multiplie les coups médiatiques et nomme des ministres... socialistes! Après avoir raté l'occasion de faire des réformes difficiles dans sa première année, Nicolas Sarkozy aura gaspillé la seconde par pur électoralisme. La taxe carbone, dont le président avait déclaré qu'elle était une «grande réforme comme la décolonisation [...] l'abolition de la peine de mort et la légalisation de l'avortement» (rien que ça!), en offre un bel exemple. Sortie de nulle part après la victoire des écologistes aux élections européennes de juin 2009, elle vient de mourir de sa belle mort.

Des réformes, il y en a eu, mais dans des domaines finalement secondaires, comme les services juridiques, la suppression de la publicité à la télévision ou la lutte contre le piratage informatique. D'ailleurs, rarement avait-on vu des lois aussi mal ficelées, obligeant le Conseil constitutionnel à les renvoyer à leur expéditeur. Au fond, là où le président s'est montré le plus habile, c'est dans la gestion des situations de crise. Sa présidence de l'Union européenne, son intervention en Géorgie, sa réaction à la crise et ses mesures de relance comptent parmi ses réussites. On sait que Nicolas Sarkozy entend utiliser la présidence du G20, en novembre prochain, pour préparer sa réélection.

Avant d'en arriver là, le président ferait bien de s'inspirer de la détermination tranquille de son homologue américain. Mais, le voudrait-il qu'il serait probablement trop tard. Depuis dimanche, un électeur de droite sur deux souhaite que le premier ministre François Fillon soit leur candidat en 2012. Avec la fin des réformes, l'élection de dimanche annonce déjà le début de la campagne présidentielle. À droite, le combat pourrait être sanglant.

À voir en vidéo