Les écoles juives en France
L'actualité offre de ces paradoxes! Il y a quelques semaines, on entendait dénoncer dans les journaux québécois la «laïcité à la française» ou «républicaine». Celle-ci était accusée de rien de moins que de vouloir «renvoyer le religieux hors de l'espace public» et «au seul espace privé». Ah, ces affreux «laïcistes» franchouillards qui prêchaient, disait-on, une «laïcité absolue». Oui, oui, absolue!
Vous savez probablement que la mémoire est une denrée rare dans le monde des médias. La preuve en est que, depuis peu, on voit quelques-uns de ces opposants à cette même «laïcité absolue» défendre l'entente qu'a conclue la ministre de l'Éducation du Québec, Michelle Courchesne, avec six écoles juives. Et quel exemple invoquent-ils pour démontrer, hors de tout doute, qu'il s'agit d'une entente respectueuse de leur «laïcité ouverte»? Et bien — je vous le donne en mille —, il s'agit à nouveau de l'exemple de la... France!C'est à y perdre son latin. Ce dernier exemple montre bien que, dès que l'on quitte les débats abscons qu'affectionnent certains universitaires, la laïcité québécoise est beaucoup moins éloignée qu'on le croit de celle qui se pratique en France. Bien sûr, notre histoire n'est pas la même. Nous sommes issus de l'ancien régime et n'avons jamais connu la république. Pourtant, notre Révolution tranquille a permis l'affirmation d'un certain nombre de principes de type républicain, comme la laïcité. De l'autre côté de l'océan, la France a connu des guerres de religion et une Révolution. Elle a inscrit la laïcité dans sa Constitution. Mais depuis une vingtaine d'années, cette laïcité s'est pour ainsi dire apaisée.
Les laïcités française et québécoise ne sont donc pas aussi éloignées que certains voudraient nous le faire croire. L'attitude à l'égard des écoles privées confessionnelles le démontre. En 1959, la loi Debré a autorisé l'État français à payer les salaires des professeurs des écoles privées qui acceptaient en retour d'appliquer les programmes scolaires nationaux. Il s'agissait de faire face à l'afflux massif de nouveaux élèves tout en préservant une riche tradition, notamment dans l'enseignement catholique. Dix-sept pour cent des élèves français fréquentent dont les écoles privées. Cette décision n'est pas très différente de celle que proposèrent, chez nous, les auteurs du rapport Parent au début des années 1960. La France et le Québec se démarquaient alors des États-Unis et de l'Ontario, où les écoles privées ne reçoivent aucun soutien de l'État.
Comme au Québec, la plupart des écoles privées françaises dites «sous contrat» sont catholiques. Mais on dénombre aussi 256 écoles juives dans un pays qui abrite la plus grande population juive d'Europe. Ces écoles représentent tout l'éventail des courants religieux, de la gauche laïque aux ultra-orthodoxes (en développement depuis quelques années). Elles appliquent les programmes de l'éducation nationale et respectent les horaires fixés par l'État (y compris les heures imparties à chaque matière et l'alternance entre les périodes de travail et de vacances). Ce qui ne les empêche pas de tenir compte des fêtes juives.
Ces écoles sont aussi tenues de ne pas faire de ségrégation religieuse lors de l'admission et de respecter la liberté de conscience des élèves. Cette obligation ne pose pas problème dans les écoles catholiques, où un élève peut être exempté des cours de religion. D'où la popularité de ces écoles auprès des juifs et des musulmans. Plusieurs témoignages confirment que cette obligation n'est pas toujours respectée par les écoles juives les plus orthodoxes. Il faut dire qu'un projet religieux «mur à mur» n'a rien pour attirer un catholique, un musulman ou un athée.
En échange du respect de ces règles, c'est l'État français qui paie directement les salaires des professeurs. Formellement, l'État «prête» donc ses enseignants aux écoles privées au lieu de subventionner directement les établissements comme chez nous. Les professeurs possèdent les mêmes diplômes que leurs collègues de l'école publique et sont soumis aux mêmes concours. Les autres activités éducatives, comme la religion, sont aux frais de l'école.
Le professeur de philosophie Georges Leroux, de l'UQAM, faisait récemment remarquer qu'il n'y avait pas de problème à financer des écoles juives. Selon lui, le hic, c'est que le Québec n'a pas les inspecteurs pour vérifier si ces écoles se conforment vraiment au régime pédagogique. On peut en effet se demander si, avec quatre heures de religion quotidiennes, une école est véritablement en mesure de respecter les programmes, ou si elle n'en modifiera pas le contenu pour ne pas heurter certaines croyances. Il y a quelques années, des inspecteurs français avaient remis à sa place la direction d'une école juive d'Aubervillier qui refusait à un professeur d'histoire de l'art le droit de faire étudier à ses élèves la Cène de Léonard de Vinci. Ajoutons que le régime d'examens assez strict qui caractérise la France facilite probablement l'application de ces règles.
Comme quoi le respect rigoureux de la laïcité n'exclue pas l'ouverture. Mais, pas à n'importe quel prix.