Le catho

Les crises de colère de Lucien Bouchard sont légendaires. Une des pires est survenue le jour où André Boisclair a voulu entraîner le Conseil des ministres dans un débat sur la présence du crucifix à l'Assemblée nationale.

Hors de lui, M. Bouchard avait lancé qu'il ne serait pas un nouveau Joseph d'Arimathie, ce disciple de Jésus qui avait obtenu de Ponce Pilate l'autorisation d'ensevelir son corps après la crucifixion.

Il est vrai que l'ancien premier ministre, qui a un sens de la famille particulièrement développé, a été ulcéré par le traitement que les souverainistes ont réservé à son frère depuis la parution du rapport de la commission sur les accommodements raisonnables, que celui-ci a coprésidée avec Charles Taylor.

Il semblait toutefois y avoir un peu de théâtre dans sa tirade sur Elvis Gratton. Sa sortie contre la laïcité s'explique peut-être davantage par ses convictions religieuses. Qui ne se souvient de sa vigoureuse défense de l'Église catholique dans le dossier des orphelins de Duplessis?

Mardi soir, lors du forum organisé dans le cadre du centenaire du Devoir, il a clairement dit qu'il ne voyait aucun problème à ce que la religion soit enseignée dans les écoles du Québec, bien au contraire.

Bien entendu, M. Bouchard a droit à ses opinions, mais il a toujours eu cette déplorable habitude de voir en ceux qui ne les partagent pas de dangereux radicaux, particulièrement s'ils sont péquistes. En décembre 2000, il avait même transformé l'Assemblée nationale en un vaste tribunal, qui s'est empressé de condamner Yves Michaud avant même de savoir ce qu'il avait dit exactement.

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Aujourd'hui, c'est la laïcité. Hier, c'était la langue. Au congrès de novembre 1996, il avait menacé de démissionner si les membres de son parti insistaient pour resserrer les dispositions de la Charte de la langue française. Après la «police de la langue», il brandit maintenant l'épouvantail de la «police du voile».

Il a sans doute raison de dire que René Lévesque serait de son avis. Déjà, sur la question linguistique, le père fondateur du PQ était aussi timoré que lui. Si la question de la laïcité s'était posée à l'époque, il aurait sans doute fallu lui forcer la main, comme Camille Laurin avait dû le faire dans le cas de la loi 101.

Il demeure néanmoins étonnant d'entendre

M. Bouchard reprocher au PQ un manque de générosité envers les immigrants. Dans les années qui ont suivi le référendum de 1995, il s'était lui-même élevé contre l'entreprise de culpabilisation orchestrée par le camp fédéraliste, qui dénonçait le «nationalisme ethnique» qui animait le mouvement souverainiste.

En revanche, personne ne devrait être surpris de l'entendre reléguer la souveraineté au domaine du rêve. C'est précisément la raison pour laquelle il a démissionné en janvier 2001. Si lui-même a été incapable de la réaliser, qui donc pourrait maintenant y parvenir, n'est-ce pas?

Son souvenir le plus marquant de ses années de pouvoir a été ce voyage secret à New York, au lendemain du sommet de mars 1996, pour supplier pendant trois heures et demie les analystes de Standard and Poors de ne pas abaisser la cote de crédit du Québec. «Je plaide, je plaide, j'ai chaud, je sue... J'étais humilié.» Franchement, c'était gênant à entendre.

Quatorze ans plus tard, l'État est dans la même impasse budgétaire, constate M. Bouchard. À l'époque, il avait vu la solution dans une diminution générale des dépenses. Cette fois-ci, il s'agit plutôt de créer de la richesse. Il semble qu'on puisse parler — un peu — de souveraineté tout en mettant des médecins à la retraite, mais pas en augmentant les tarifs.

Dans la mesure où Mme Marois a clairement indiqué qu'elle n'entend pas tenir de référendum dans un avenir prévisible, M. Bouchard enfonce une porte déjà largement ouverte. Si elle devient première ministre, elle n'aura pas d'autre choix que de faire... comme lui.

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M. Bouchard s'est hérissé en point de presse quand un journaliste lui a demandé s'il faisait partie de ces «déclinologues» que Jacques Parizeau a évoqués dans son dernier livre. «Est-ce qu'on peut faire un scrum sans parler de M. Parizeau?», a-t-il lancé, ne goûtant manifestement pas l'ironie de la situation.

Après tout ce que lui avait fait subir son prédécesseur, il fallait qu'il en ait gros sur le coeur pour l'imiter avec autant de hargne. La publication du manifeste Pour un Québec lucide avait fait mal au PQ, mais il ne visait personne en particulier. Cette fois-ci, M. Bouchard s'en est pris nommément à Pauline Marois.

Son leadership ne devrait cependant pas en souffrir. De nombreux militants péquistes trouvaient que M. Parizeau avait raison quand il reprochait à M. Bouchard sa tiédeur souverainiste ou son obsession du déficit zéro. Sur la question identitaire, le PQ est massivement derrière son chef.

Bien sûr, Jean Charest va se bidonner pendant un certain temps, mais le sondage de Léger Marketing dont Le Devoir publie aujourd'hui le dernier volet indique que, sur la question des accommodements raisonnables et de la laïcité, la population partage davantage l'opinion de Mme Marois que la sienne.

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mdavid@ledevoir.com

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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