Le 51e État
On avait déjà compris que le gouvernement Harper attendrait un geste des États-Unis avant de bouger l'ombre de son petit doigt pour lutter contre les changements climatiques. On ne pensait pas que cela irait jusqu'à abandonner les dernières cibles du Canada en la matière, aussi ridicules fussent-elles, pour carrément adopter celles des Américains.
C'est pourtant ce qu'a décidé Ottawa, sans consulter personne. Après nous avoir seriné que d'ici 2020 le Canada réduirait ses émissions de gaz à effet de serre (GES) de 20 % sous le niveau de 2006, le ministre de l'Environnement, Jim Prentice, a confirmé samedi que le Canada se contenterait maintenant d'une réduction de 17 % sous le niveau d'émission de 2005. Comme les Américains.En dévoilant ce nouvel objectif, le Canada respecte ses obligations en vertu de l'accord de Copenhague, a souligné le ministre. En effet, tous les pays s'étaient engagés à présenter pour le 31 janvier aux Nations unies les cibles et l'échéancier qu'ils se sont fixés. Ce que M. Prentice ne dit pas cependant, c'est que le Canada est le seul signataire à avoir encore revu à la baisse ses objectifs.
Ce que ne dit pas non plus M. Prentice est que les cibles américaines s'inscrivent dans des projets de loi à l'étude au Congrès et que leur adoption éventuelle permettrait une mise en oeuvre rapide. Au Canada, en revanche, on n'a pas encore vu l'ombre d'un projet de loi ou une ligne de règlement qui traduirait les intentions du gouvernement. Cela veut dire que, si le projet de loi américain était adopté, le Canada serait en mode rattrapage.
Il y a aussi la possibilité que ces projets de loi américains ne passent pas. Que ferait alors l'administration Obama? Elle pourrait revenir à la charge, prendre la voie réglementaire ou ne rien faire pendant un bon moment. Peu importe le scénario, cependant, Ottawa n'est aucunement prêt à réagir.
Il ne le peut pas parce que sa seule stratégie en matière de lutte contre les changements climatiques est de profiter de tous les prétextes possibles pour éviter d'agir. Son plan a changé avec chaque ministre de l'Environnement, trois en quatre ans. Chaque fois, on promettait des règlements pour demain et des cibles plus claires pour guider les décisions des entreprises. On attend encore.
Ce gouvernement prétend prendre au sérieux l'enjeu des changements climatiques, mais il pratique la fuite en avant tout en émasculant, par en arrière, les ressources scientifiques capables de l'appuyer et de démontrer l'urgence d'agir.
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Depuis quelques mois, plusieurs médias font état des risques que pose l'incertitude autour du financement de la Fondation canadienne pour les sciences du climat et de l'atmosphère. Cet organisme qui est la principale source de financement de la recherche sur le climat au Canada, et qui soutient environ 200 chercheurs à travers le pays, ignore toujours si son budget sera renouvelé lorsque ses fonds s'épuiseront en mars 2012, ce qui l'empêche d'approuver des recherches à plus long terme.
Moins connue et plus petite, la Commission canadienne des affaires polaires fait, quant à elle, du surplace, a découvert Le Devoir. Ce gouvernement, qui prétend faire du Nord une priorité, a laissé tous les postes du conseil d'administration vacants depuis la fin d'octobre 2008, et le budget de l'organisation est aujourd'hui inférieur à ce qu'il était à sa création en 1991.
Cette commission a pourtant pour mandat de «faire le suivi du savoir polaire au Canada et dans le monde, [...] de favoriser l'appui aux recherches polaires canadiennes [...], d'encourager la coopération internationale pour l'avancement du savoir polaire». Comme l'Arctique est une des régions les plus touchées par les changements climatiques, une bonne part des recherches porte sur cet enjeu. La situation est telle que la direction s'est permis de manifester son inquiétude dans une note de bas de page de son dernier rapport annuel: «L'absence de conseil d'administration et l'actuelle situation financière pourraient empêcher la Commission de remplir le mandat que lui a conféré la loi.»
Sous ce gouvernement, le dossier des changements climatiques est, comme celui de la justice, dominé par les apparences au détriment des faits et de l'intérêt public. Les Canadiens n'aimaient pas que leur gouvernement s'aligne sur George W. Bush et ce n'est pas leur plus grande sympathie pour Barack Obama qui leur fera oublier que le Canada est toujours un pays indépendant. Au lieu de la capitulation actuelle, il peut, tout en discutant avec son puissant voisin, définir ses propres objectifs et proposer des moyens pour les atteindre.
Parenthèse
Le jury citoyen mis sur pied par le Directeur général des élections du Québec vient de remettre son rapport sur le financement des partis politiques. Il a, sans surprise, rejeté l'idée de rétablir le financement des partis par les entreprises et les groupes d'intérêts afin d'éviter que ces derniers exercent une influence indue sur les élus. L'attitude du gouvernement Harper dans le dossier des changements climatiques montre toutefois que cette supposée influence découle davantage du poids économique d'une industrie et de sa communauté de pensée avec le parti au pouvoir. Les pétrolières ne versent pas un cent aux conservateurs et pourtant, elles leur dictent leur politique environnementale et énergétique.
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