Médias - Un an plus tard

Un an après le déclenchement du lock-out, les parties sont très loin d’un règlement.
Photo: - Le Devoir Un an après le déclenchement du lock-out, les parties sont très loin d’un règlement.

Dans le monde des médias, c'est un anniversaire malheureusement incontournable. Il l'est d'autant plus qu'après un an la question commence à se poser: Le Journal de Montréal a-t-il encore besoin de ses journalistes syndiqués? Et ces journalistes, peuvent-ils vraiment faire vivre Rue Frontenac en permanence?

Hier soir, les employés du Journal de Montréal présentaient un concert de solidarité pour souligner le premier anniversaire du lock-out qui les a envoyés sur le trottoir.

Un an plus tard, les parties sont très loin d'un règlement. Les positions se sont même durcies, et certains artisans du journal ne croient même plus à un règlement en 2010.

Car Le Journal de Montréal fait tous les jours la preuve qu'il peut publier sans son habituelle salle de rédaction. Une poignée de cadres, dont des journalistes d'expérience, parvient à «sortir» le journal et à ramasser quelques histoires fortes de temps en temps. Des chroniqueurs qui ont refusé de boycotter le journal complètent le travail, et on remplit les pages en reprenant des textes du Journal de Québec (particulièrement le samedi), et surtout en utilisant les services de QMI, cette structure mise en place par Quebecor l'année dernière pour permettre l'échange de contenus entre les différents médias du groupe.

Les ventes du quotidien, elles, ne semblent pas en chute libre. On remarquera, en passant, que plusieurs exemplaires du journal sont gracieusement disséminés aux quatre coins de la ville, comme les nombreux exemplaires gratuits que l'on peut trouver au Club Vidéotron de mon coin de rue de Rosemont!

Les annonceurs, eux, ont résisté aux appels au boycottage.

Tester la convergence

Quebecor se retrouve donc à tester une expérience de convergence à grande échelle, en tentant de générer des contenus de façon autosuffisante avec tous ses médias écrits et électroniques. L'entreprise croit même pouvoir se passer de La Presse canadienne.

On remarquera, en passant, que la chaîne spécialisée Argent permet de générer plusieurs nouvelles et analyses économiques envoyées dans les autres médias du groupe. On peut donc imaginer que Quebecor pourrait se doter à l'avenir d'autres chaînes spécialisées (une demande a d'ailleurs été faite au CRTC pour obtenir une chaîne sportive), afin d'augmenter la production de contenus «réutilisables» dans différents domaines.

Du côté des journalistes syndiqués, on tente de stabiliser le site Internet lancé il y a un an, Rue Frontenac. Campagne de financement, lancement d'une application iPhone, création d'une édition PDF imprimable: des artisans commencent à rêver de couper les liens avec leur employeur pour voler de leurs propres ailes.

Mais, pour le moment, ce n'est qu'un rêve: ces journalistes survivent grâce à leur fonds de secours syndical et, à l'évidence, un tel site Internet, aussi intéressant soit-il, ne pourrait faire travailler tous les actuels lock-outés.

Conflit hargneux

Dans un tel conflit, la logique voudrait que les deux parties cherchent des points de rapprochement. C'est le contraire qui se produit. Je ne me souviens pas d'avoir vu, dans le monde des médias, un conflit aussi hargneux. Les syndiqués se sont servis de Rue Frontenac pour faire une féroce critique de leur employeur, pour scruter toutes les erreurs commises par Le Journal de Montréal «des cadres», pour fustiger les partis pris idéologiques du quotidien. On a peine à imaginer qu'ils pourraient travailler main dans la main avec les cadres actuels pour produire un bon journal si, par miracle, le conflit se réglait cette semaine.

De son côté, la direction de l'entreprise n'en manque pas une. Avant les Fêtes, elle faisait savoir qu'une reprise des négociations passait par de nouvelles demandes de sa part, dont de nouvelles mises à pied!

Et la semaine dernière, le président de Quebecor, Pierre Karl Péladeau, s'en prenait publiquement au syndicalisme contemporain dans une lettre ouverte publiée dans ses journaux, déplorant que le syndicalisme rende «difficile l'émergence de jeunes entrepreneurs» (on se demande bien comment), se plaignant que les patrons d'entreprise doivent consacrer «trop de temps, d'énergie et d'argent à gérer les relations de travail» (cela s'appelle gérer une entreprise, justement, ce que la majorité des entrepreneurs font d'ailleurs très bien dans toutes ces entreprises où il n'y a pas de conflit...). M. Péladeau s'en prenait également «aux privilèges aussi nombreux et de moins en moins justifiables» des syndicats, une opinion qui nous laisse perplexe quand on constate les multiples privilèges fiscaux accordés aux entreprises par l'État, toutes ces subventions directes et indirectes, crédits d'impôt, aides en tous genres. Bref, c'est le genre de propos qui ne servent qu'à jeter de l'huile sur le feu.

La vraie question, brutale, est la suivante: si le public continue à voter chaque matin pour Le Journal de Montréal publié sans ses journalistes habituels, l'entreprise fera la preuve qu'elle peut continuer de cette manière pendant des années.

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pcauchon@ledevoir.com

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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