Hausse des taux en vue

Inquiète du niveau d'endettement des ménages, la Banque du Canada multiplie les mises en garde contre des hausses de taux. Ayant déjà identifié la dette des ménages comme étant le principal facteur de risque pour l'économie canadienne, elle invite depuis les Canadiens à ne pas emprunter au-delà de leurs moyens et les banques à ne pas prêter à l'aveuglette. Mais de quelle hausse de taux parle-t-on?

Dans la dernière édition de sa Revue du système financier, publiée au début de décembre, la Banque du Canada a mis l'accent sur l'endettement des ménages canadiens qui, fait plutôt rare en récession, a continué de croître en ces temps difficiles, stimulé par la faiblesse du loyer de l'argent. La banque centrale retenait alors que la dette des ménages est de 1,42 fois supérieure à leur revenu disponible.

Même si ce niveau demeure en deçà de ceux des Américains et des Britanniques, il a pour effet d'accroître la vulnérabilité des ménages canadiens en cas de détérioration de la conjoncture, que celle-ci prenne la forme d'une progression du chômage ou d'une hausse probable des taux d'intérêt. Évoquant une possible augmentation des cas de défaut de paiement, la banque centrale invitait les ménages qui empruntent, principalement sous forme de prêts hypothécaires, à bien «estimer leur capacité à rembourser cette dette jusqu'à échéance, en tenant compte des variations possibles de leur revenu et des taux d'intérêt». L'avertissement est on ne peut plus clair, et pertinent, quand on voit toutes ces propriétés résidentielles hors de prix trouver facilement preneur.

Mensualités supérieures à 35 % du revenu des ménages avant impôts et mises de fonds inférieures à 20 % sont de plus en plus fréquentes. La Banque du Canada a calculé que 5,9 % des ménages canadiens sont présentement vulnérables à une augmentation des taux sur la base que leurs mensualités accaparent plus de 40 % de leur revenu brut. Cette proportion de ménages à risque devrait passer à 8,5 % d'ici 2012 si les taux d'intérêt gagnent trois points de pourcentage.


Pas aussi dramatique

Cet avertissement étant, la hausse des taux qui se dessine n'est pas aussi dramatique. Du moins pour les 12 prochains mois. Au sujet de la conjoncture, le consensus parmi les prévisionnistes porte sur une croissance poussive en 2010 de l'économie canadienne. La reprise digne de ce nom n'apparaît pas sur le radar avant 2011. «Tout porte à croire qu'à la fin de 2010 le Canada et les États-Unis ramèneront leur PIB réel au niveau d'avant la récession. L'année 2011 marquera alors le début d'une autre phase d'expansion qui sera tempérée par le retrait graduel du rôle des gouvernements dans l'économie», ont indiqué les économistes du Mouvement Desjardins.

À la TD on retient qu'«à maints égards, l'enclenchement d'une reprise économique réussie constitue un scénario presque idyllique. Il faut éviter d'en faire trop ou pas assez. Le dosage des mesures devra être parfait. Il serait téméraire de négliger les risques qui pèsent sur l'économie». Les autorités monétaires devront manoeuvrer serré, d'autant que «les mesures que les autorités publiques devront prendre pour s'attaquer de manière crédible aux déficits budgétaires et à l'explosion de la dette publique constituent un autre risque important. Les décideurs devront éviter les mesures trop radicales afin de ne pas tuer leur économie nationale ni nuire à la reprise mondiale».

Cela dit, le premier relèvement des taux directeurs aux États-Unis n'est pas attendu avant avril 2010. La Financière Banque Nationale va plus loin dans son pronostic en estimant que le taux cible de la Réserve fédérale terminera l'année 2010 à 1,5 %, alors qu'il se maintient présentement entre 0 et 0,25 %, et ce, depuis un an. «La Banque du Canada devrait se contenter de suivre la Fed», ont ajouté les analystes de la FBN.

Le taux cible influence la courbe de taux sur les prêts à la consommation. Pour les taux hypothécaires, il faut s'en remettre au marché obligataire. Là encore, les projections font ressortir une hausse possible de quelque 100 points de base pour l'obligation du gouvernement canadien à échéance de cinq ans, et d'environ 90 points de base pour celle à échéance de dix ans. La première offre présentement du 2,56 % et la seconde, du 3,38 %.


Exubérance

Selon une lecture de la Banque CIBC du marché de l'habitation, la volatilité a atteint «un degré sans précédent» au cours des deux dernières années. Et le rythme de la reprise du secteur est plus rapide que celui du reste de l'économie canadienne. Les analystes de la banque évaluent que le prix moyen actuel des maisons au Canada, tout juste inférieur à 350 000 $, est supérieur d'environ 7 % à un prix qui correspondrait aux facteurs économiques fondamentaux actuels du marché de l'habitation, comme les taux d'intérêt, la croissance du revenu, le prix des loyers et les données démographiques. «C'est dans l'ouest du Canada que les prix sont les plus surévalués.»

Pour sa part, le crédit hypothécaire augmente à un rythme supérieur à 7 %, ce qui explique le ratio d'endettement record des ménages, à 142 %. «Puisque la surévaluation actuelle se produit dans un contexte de taux d'intérêt historiquement bas et que les ménages profitent de faibles taux d'intérêt pour emprunter et acheter une maison, nous assistons fort probablement à une période d'exubérance, à une période d'"emprunt sur l'avenir"», a souligné Benjamin Tal, économiste principal à CIBC.

Cela dit, l'analyste retient l'enseignement de l'histoire, qui nous dit que les défauts de paiement hypothécaire sont davantage tributaires de l'état de santé du marché de l'emploi que du niveau des taux d'intérêt. «Au cours des trente dernières années, le nombre de faillites personnelles a augmenté deux fois plus vite dans un contexte de diminution des taux d'intérêt que dans un contexte de hausse de ces taux. Le mécanisme en place est évident. Les taux d'intérêt augmentent lorsque l'économie se redresse, et les avantages que procure une économie en phase positive sur le plan de l'emploi et du revenu contrebalancent aisément l'impact de taux d'intérêt élevés sur le remboursement des dettes.»

L'analyste ajoute que le groupe soi-disant «à risque» se protège déjà des premiers effets d'une hausse des taux d'intérêt en souscrivant une hypothèque à taux fixe. «Selon les renseignements obtenus de la SCHL, pas moins de 80 % des ménages ayant souscrit une hypothèque en 2009 avec un rapport prêt-garantie supérieur à 80 % et un ratio d'endettement supérieur à 40 % bénéficient d'une hypothèque à taux fixe. Cette situation est complètement à l'opposé de celle qui prévalait aux États-Unis, où les Américains à faible revenu utilisaient en grand nombre les hypothèques à taux variable.»

À voir en vidéo