Festival international du film de Toronto - Cruz fait craquer la Ville Reine

Un chaud vent d'Andalousie a soufflé hier sur la Ville Reine alors que Penelope Cruz venait présenter au FIFT Étreintes brisées, de Pedro Almodóvar. Accompagnée de son partenaire dans le film, Lluis Homar, mais sans le cinéaste pour la chaperonner comme il y a deux ans pour Volver, la muse du prince de la movida avait fait demander par ses attachées de presse qu'aucune question personnelle ne soit posée, au risque qu'elle mette abruptement fin à l'entretien.
Rien donc sur sa vie à deux avec Javier Bardem et sur les rumeurs de bébé. J'en suis fort aise. Après tout, Cruz, une fille de 35 ans allumée et très terre-à-terre, s'était déplacée pour parler métier, personnages, et proclamer son affection pour son Pedro, avec qui elle a tourné quatre films. «Toutes mes expériences avec lui ont été uniques. Il me donne la possibilité de jouer des personnages qui sont différents entre eux et différents de moi. Tout ce que je demande d'un cinéaste, c'est qu'il voie en moi quelque chose que je ne saurais voir moi-même.»Elle joue ici Lena, une aspirante actrice mariée à un riche homme d'affaires qui lui achètera un rôle dans la production de Matteo (Homar), un cinéaste en vogue avec qui elle aura une liaison fatale. Laquelle liaison nous est reconstituée par flash-back, alors que 14 ans plus tard, Matteo, devenu aveugle et se faisant appeler Harry (son nom de plume) pour se dissocier du douloureux souvenir, la raconte au jeune protégé qui l'assiste à l'écriture de scénarios.
«Mon personnage est sans doute le plus beau qu'il [Almodóvar] n'ait jamais écrit pour un homme», soutient le chaleureux et séduisant Lluis Homar (aperçu dans La Mauvaise Éducation) alors qu'il commente l'univers féminin du cinéaste, et la facilité qu'il a eue à y pénétrer. Il est vrai que si Almodóvar aime fantasmer les femmes, ses personnages masculins aussi. Dans Étreintes brisées, le regard de Matteo/Henry et celui d'Almodóvar vont dans la même direction, idéalisent le même objet: Lena, une figure qui évoque l'audace de la Gilda de Vidor et l'innocence de la Laura de Preminger.
Si Matteo est un personnage double, Lena est un personnage triple, qui se réinvente devant le miroir, par le costume, la perruque, mais sa véritable identité demeure une énigme. «Dans un film comme celui-là, le costume et l'apparence du personnage sont très importants et les essayages m'ont beaucoup guidée dans mon travail. C'est la force d'Almodóvar: il est riche sur le plan visuel, riche sur le plan du récit. C'est la combinaison de ces deux éléments qui font de lui un cinéaste si extraordinaire. Seuls les grands cinéastes atteignent cet équilibre.»
Désormais, l'actrice qui a remporté l'oscar de la meilleure actrice de soutien en mars dernier (pour Vicky Cristina Barcelona de Woody Allen) et qui est devenue pour ses compatriotes ce que Céline est pour les Québécois, partage son temps entre les plateaux parlant espagnol et ceux parlant anglais. Le plus dur, dans ce dernier cas, est derrière elle. «Au début, je ne pouvais pas avoir une conversation en anglais sur un plateau, entre les prises. J'étais obsédée par les mots du texte à dire. J'ai dû étudier et encore aujourd'hui, je continue.» Pour corser l'épreuve, la belle Madrilène danse et chante dans Nine, la comédie musicale de Rob Marshall (Chicago) attendue sur nos écrans fin novembre. Soit un mois avant Étreintes brisées, dont la sortie est prévue pour Noël. On en reparlera en bien.
On ne sait jamais où attendre Steven Soderbergh. The Informant, le nouveau film du réalisateur de Trafic, d'Ocean's Eleven et de Che continue de brouiller les cartes. Il s'agit d'un nouvel exercice de style, dans l'esprit du film d'espionnage américain des années 1970, campé dans les années 1990, sur la perte d'innocence post-11 septembre 2001. D'entrée de jeu, le générique en grosses lettres jaunes et l'excellente musique du très rare Marvin Hamlish donnent le ton. Puis, la voix de Matt Damon surgit avant même qu'on ne le reconnaisse sous la perruque de Mark Whitacre, un biochimiste qui, pendant ses années au sein d'une entreprise fabriquant un produit sucrant à base de maïs (dextrose), a informé le FBI d'une conspiration internationale impliquant tous les fabricants dudit produit afin d'en contrôler artificiellement le cours sur le marché boursier.
Mais Whitacre, maniaco-dépressif bipolaire dont l'esprit surchauffe en continu, avait parallèlement un motif inavouable. Soderbergh nous raconte son histoire avec dans le regard une fascination amusée pour ce menteur pathologique qui n'exclut pas la compassion. Sous des dehors plutôt désinvoltes, The Informant est une oeuvre mature et maîtrisée sur la responsabilité sociale, la justice économique et le prix de la vérité. Erin Brockovich, à cet égard, n'est jamais loin. Comme quoi, même en s'éparpillant, Soderbergh reste constant.
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Collaborateur du Devoir