La guerre de Jean Chrétien

La semaine dernière, Sébastien Courcy est devenu le 125e soldat canadien — et le cinquième ce mois-ci — à mourir en Afghanistan. Le jour même, un soldat britannique marchait sur un engin explosif, faisant de juillet 2009 le mois le plus meurtrier de la guerre en Afghanistan pour les troupes étrangères.

Pendant ce temps, à Londres, le lieutenant-colonel Rupert Thorneloe, le soldat de plus haut gradé à tomber au combat depuis la guerre des Malouines, était mis en terre. Dans la tourmente, un comité tripartite de la Chambre des communes signalait que les opérations militaires britanniques en Afghanistan étaient sérieusement compromises à cause de la pénurie d'hélicoptères qui force les commandants à se rabattre sur le transport au sol, beaucoup plus dangereux.

Plus de soldats britanniques sont décédés en Afghanistan qu'en Irak, pays dont ils devraient d'ailleurs se retirer bientôt. Les soldats américains se sont pour leur part retirés des grandes villes irakiennes. En Afghanistan, cette semaine seulement, cinq soldats américains ont été tués, portant le total des morts à 31 en juillet, ce qui en fait le mois le plus meurtrier depuis l'invasion de 2001. Déjà, 59 soldats de la coalition sont morts pendant cette même période, et il reste encore plus d'une semaine avant que le mois se termine. Les deux tiers de ces décès sont attribuables aux engins explosifs.

Selon plusieurs sondages récents, une majorité de Canadiens — quelle que soit leur province d'origine — sont désormais opposés à notre implication militaire en Afghanistan.

Cela ne devrait surprendre personne étant donné l'absence de progrès et, surtout, le taux alarmant de pertes, qui reste le plus élevé parmi les alliés au combat. Les Britanniques, qui occupent le deuxième rang de ce triste bilan, sont de plus en plus enclins à reconnaître que l'envoi de troupes mal équipées pour faire la guerre est une recette qui conduit tout droit à la catastrophe, au premier chef, le manque d'hélicoptères qui a rendu nos troupes extrêmement vulnérables aux engins explosifs, l'arme de prédilection des talibans.

Les 9000 soldats déployés par la Grande-Bretagne disposent de 23 hélicoptères pour le transport. Le Canada n'a acquis cette capacité que récemment, ce qui explique en grande partie notre taux de pertes humaines plus élevé.

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Ce qui surprend plus, par contre, c'est l'absence de débats internes ayant précédé la décision de Jean Chrétien d'envoyer 2000 soldats canadiens en Afghanistan. Le premier ministre d'alors avait essentiellement pris cette décision pour plaire aux Américains, ce qui lui avait aussi permis de faire en sorte que nos troupes ne soient pas disponibles pour la guerre en Irak. Mais rappelons-nous que lorsqu'il avait annoncé, en 2003, que le Canada n'appuierait pas une invasion du pays de Saddam Hussein, Oussama ben Laden s'était déjà réfugié au Pakistan, ce qui n'avait pas empêché M. Chrétien d'ajouter: «Nous sommes avec [les Américains] sur le terrorisme et le terrorisme est en Afghanistan.»

Aujourd'hui, le président américain Barack Obama augmente le nombre de troupes américaines en Afghanistan en évoquant le même prétexte. Alors qu'il était encore candidat à la présidence, M. Obama avait déclaré que l'attaque de George Bush contre l'Irak illustrait le fait qu'il s'agissait d'une «mauvaise» guerre, alors que l'Afghanistan, par opposition, reste une «bonne guerre».

Pourtant, une fois de plus, le Canada et les États-Unis ont des vues opposées. Le premier ministre Stephen Harper est passé du camp des faucons à celui des colombes. Il est aujourd'hui d'avis que les insurgés en Afghanistan ne seront jamais anéantis. Sachant cela, il estime qu'une date de retrait déterminée reste le seul moyen de s'en sortir honorablement, ce qui implique la remise de la gestion de la situation dans les mains de l'armée afghane et de sa police.

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La semaine dernière, la reine Elisabeth II a remis à M. Chrétien l'Ordre du mérite, un prix prestigieux qui a auparavant été décerné à Nelson Mandela, mère Teresa et Albert Schweitzer. Dans les pages de La Presse, l'ancien bras droit de M. Chrétien, Eddie Goldenberg, a écrit un long texte sur les réalisations de l'ancien premier ministre. Il a mentionné le traité visant l'élimination des mines antipersonnel. Sans le leadership de M. Chrétien, écrit M. Goldenberg, «le Canada aurait presque certainement participé à la guerre américaine contre l'Irak». Cela dit, qui sait vraiment ce que Paul Martin, celui-là même qui a envoyé nos soldats à Kandahar, aurait décidé s'il avait réussi plus tôt son putsch contre M. Chrétien? Chose certaine, il est incontestable que c'est M. Chrétien qui a envoyé nos soldats — mal équipés et non protégés par le traité contre les mines antipersonnel — en Afghanistan. Cela fait aussi partie de son legs.

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nspector@globeandmail.ca

Norman Spector est chroniqueur politique au Globe and Mail

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