Un billet pour la « grossophobie »

En plus de tous les soucis relatifs aux voyages en avion, les clients de la compagnie aérienne Ryanair devront peut-être s’inquiéter de leur poids avant l’embarquement.
Photo: Agence Reuters En plus de tous les soucis relatifs aux voyages en avion, les clients de la compagnie aérienne Ryanair devront peut-être s’inquiéter de leur poids avant l’embarquement.

Les amateurs de situations cocasses dans les environnements publics risquent de se régaler à l'avenir lors de leur passage dans l'un des nombreux aéroports d'Europe. Et comment! Au comptoir d'enregistrement des passagers de la compagnie Ryanair, un petit mais dynamique transporteur aérien britannique à bas prix, les passagers devront peut-être dans le futur se faire peser et mesurer. Sous le regard perplexe des voyageurs se préparant à décoller sur d'autres ailes.

Pis, le personnel au sol de Ryanair pourrait aussi sortir des rubans à mesurer afin d'apprécier le tour de taille de sa clientèle ou encore dégainer un pied à coulisse pour savoir avec précision si son train arrière va bel et bien réussir à atterrir dans l'espace prévu à cet effet (le fauteuil), dans la cabine de l'appareil. Surréel.

Rêve de situationniste? Délire des fidèles de l'absurde? Que non! Ceci n'est pas une blague. Depuis quelques semaines, Ryanair planche sérieusement sur l'imposition d'une taxe à la surcharge pondérale, mais aussi sur la manière de la mettre en application dans les nombreux aéroports qu'elle dessert. Si quelqu'un doutait qu'on vit bel et bien à une époque totalement délirante, le doute vient d'être sérieusement dissipé.

En ces temps économiquement difficiles, la compagnie aérienne, qui cherche à réduire ses coûts et à accroître ses revenus pour rester concurrentielle dans un marché qui pique un peu du nez, a décidé, en mars dernier, de sonder le coeur de ses fidèles passagers afin de savoir quels changements tarifaires ils étaient prêts à accepter. La consultation publique s'est déroulée sur le site Internet de l'entreprise. Près de 100 000 personnes y ont participé.

Conclusion: 30 % des répondants ont proposé l'imposition d'une «taxe pour les gros» — appelons un chat un chat! — et ce, bien devant d'autres propositions tout aussi édifiantes: par exemple,faire payer le papier hygiénique (1,50 $), ouvrir des cabines-fumoirs dans les avions pour en griller une contre 4,50 $, établir un abonnement annuel pour accéder aux bas tarifs de Ryanair ou encore demander une compensation de 3 $ aux passagers qui veulent consommer leur propre bouffe dans l'avion.

Choix démocratique

La démocratie s'est donc exprimée et, avec elle, les préjugés tenaces à l'endroit de la frange rondelette de la population qui, une fois encore, se fait lamentablement montrer du doigt. Et, on s'en doute, les obèses ne trouvent pas vraiment ça très drôle.

Cette semaine, d'ailleurs, Allegro Fortissimo, une association européenne qui représente des personnes corpulentes, a dénoncé vivement l'approche du transporteur aérien, appelant même à un boycottage en règle de Ryanair qu'elle accuse de «surfer sur le terrain de la grossophobie» en traitant les personnes de forte corpulence comme de simples bagages. Le groupe déplore aussi avoir été mis en concurrence dans la consultation publique avec une tarification du papier hygiénique.

Pas besoin d'avoir travaillé dans une commission des droits de la personne pour constater que la discrimination est évidente. Mais Ryanair a décidé, malgré tout, de poursuivre sur sa lancée en demandant à ses clients d'imaginer les règles à suivre pour taxer les voyageurs qui abusent, selon elle, de leur droit à l'embonpoint. Les idées en l'air pour le moment? Demander de l'argent pour chaque kilo supplémentaire aux hommes pesant plus de 130 kilos et aux femmes de plus de 100 kilos, taxer les tours de taille dépassant 114 cm (homme) et 102 cm (femme), ou encore délester de quelques livres sterling, dollars ou euros les passagers ayant un indice de masse corporelle (IMC) supérieur à 40. Cet indice est obtenu en divisant le poids d'un individu par sa taille au carré. Il donne du coup une idée de sa corpulence.

Ces propositions ont été elles aussi soumises au vote des internautes. Au moment d'écrire ces lignes, la décision finale n'avait pas encore été dévoilée.

Passé maître dans l'art d'offrir des billets d'avion à des prix ridiculement bas, tarifs que les fidèles d'Air Canada ou de WestJet ne peuvent même pas imaginer dans leurs rêves les plus fous — un billet Londres-Barcelone pour un euro, en promotion —, le transporteur brit est aussi devenu roi, forcément, dans l'art de rogner sur les dépenses, mais aussi de proposer des cartes tarifaires modulables composées de multiples extras (pour les bagages, le café, la bouffe et même la position dans la liste d'attente pour monter dans l'avion). Le tout en restant très concurrentiel.

Faire du beurre sur le dos des obèses

Les gros viennent donc de faire les frais de ce mode de gestion, et ce, sur la base de leur poids car, dans un avion, chaque kilo compte et finit par avoir une incidence sur la consommation de carburant. La surcharge pondérale a un prix dans le domaine du transport, comme l'ont exposé fin 2006 deux chercheurs de l'Université de l'Illinois. Leur calcul? Depuis 1960, les Américains ont en moyenne grossi de 11 kilos. Or chaque kilo de plus, dans une voiture, un autobus ou un avion, engendre une consommation de carburant de 326 millions de litres supplémentaires par année. Sur la base de trois kilos de plus, c'est un milliard de litres qui partent alors en fumée. Étourdissant. L'équation est certainement juste. N'empêche, lors de la consultation, Ryanair proposait aussi de faire payer pour le papier hygiénique utilisé en vol. La proposition était d'ailleurs accompagnée de cette amusante idée: le papier hygiénique des avions de Ryanair aurait alors exposé le visage de Michael O'Leary, le très médiatique — en Europe, du moins — président de la compagnie aérienne et surtout homme d'affaires prospère et très riche d'Irlande.

Finalement, c'est l'idée de réduction des coûts qui semble avoir le plus de bon sens.

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conso@ledevoir.ca

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