Les torchons et les serviettes

Quand Jean Charest est devenu chef du PLQ en 1998, ses députés avaient eu la surprise de l'entendre dire qu'ils devaient apprendre à «haïr» leurs adversaires. Certains en avaient même été choqués.

Heureusement, tous n'ont pas suivi sa recommandation à la lettre. Alors qu'on déplore souvent le ton hargneux et mesquin qui caractérise les débats à l'Assemblée nationale, il est plutôt rafraîchissant d'apprendre qu'une ministre et un député de l'opposition peuvent éprouver l'un pour l'autre des sentiments qui transcendent la ligne de parti.

Il y a une quinzaine d'années, un sondage effectué auprès des abonnés du magazine Affaires plus indiquait que 44 % d'entre eux trouvaient le milieu de travail particulièrement propice aux idylles. À l'époque, Hydro-Québec estimait qu'environ 5000 de ses employés, soit 20 %, vivaient avec un(e) collègue.

Dans un Parlement, où quelques centaines de personnes éloignées de leur résidence vivent en serre chaude plusieurs mois par année, il est encore moins étonnant que certains se découvrent d'irrésistibles affinités.

Le jurisconsulte de l'Assemblée nationale, Claude Bisson, a qualifié de «délicate» la situation créée par la relation entre la vice-première ministre Nathalie Normandeau et le député adéquiste de Shefford, François Bonnardel. «Un peu comme un ministre des Finances dont le conjoint deviendrait président de banque», a-t-il dit.

Cette comparaison rappelle plutôt la nomination de Claude Blanchet à la présidence de la Société générale de financement alors que Pauline Marois était ministre des Finances. D'ailleurs, même si l'éthique est un thème à la mode ces jours-ci à Québec, personne au PQ n'a adressé le moindre reproche à Mme Normandeau ou à M. Bonnardel.

Remarquez, il est aussi arrivé à des journalistes qui couvraient l'Assemblée nationale d'avoir un conjoint dans un cabinet politique. Un ancien collègue partageait même la vie d'une députée. Inutile de dire que cela créait un malaise.

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Précisément parce que plusieurs affaires ont soulevé de sérieuses questions d'éthique dernièrement, que ce soit à Québec ou à l'hôtel de ville de Montréal, il faudrait éviter de mélanger les pommes et les oranges. Ou encore les torchons et les serviettes, comme disait René Lévesque.

Bien sûr, on peut imaginer un scénario où Mme Normandeau serait en mesure de favoriser la réélection de son amoureux dans Shefford. De son côté, on voit mal comment M. Bonnardel pourrait s'associer à une offensive de l'opposition qui viserait la vice-première ministre.

Au plan politique, il y a certainement un potentiel d'embarras. C'est cependant moins l'intérêt de la population que celui du PLQ ou de l'ADQ qui pourrait en pâtir. Si des confidences indues sont faites sur l'oreiller, les fautifs se débrouilleront avec leur patron respectif.

Si les membres de l'Assemblée nationale sentent le besoin de démontrer leur souci de renforcer le sens de l'éthique au sein de la classe politique, ils devraient plutôt se pencher sur le cas du président du PLQ, ancien maire de Rivière-du-Loup et candidat à la prochaine élection partielle dans la circonscription du même nom, Jean D'Amour, qui est nettement plus troublant.

Jusqu'à la fin de mars, M. D'Amour agissait comme directeur du développement des affaires pour la firme de génie-conseil BPR à Rivière-du-Loup, qui l'avait précisément engagé pour sa connaissance du milieu municipal. Dans une entrevue au Devoir, il s'est vivement défendu d'avoir contrevenu aux dispositions de la Loi sur le lobbyisme. Dans son esprit, son rôle en était plutôt un de «vendeur». Manifestement, le président du PLQ est un homme de nuances.

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Sans tirer de conclusion hâtive, le commissaire au lobbyisme s'interroge sur «certains éléments qui laissent croire qu'il a pu y avoir manquement à la loi». Dans le cas d'un maire, les règles d'après-mandat imposent un moratoire de deux ans sur les activités de lobbyisme auprès de «toute institution parlementaire, gouvernementale ou municipale» avec laquelle il a eu des rapports importants durant la dernière année de son mandat. Or M. D'Amour était entré à l'emploi de BPR moins de trois mois après avoir quitté la mairie.

Il est également permis de croire que son statut de président du PLQ ne laissait pas ses interlocuteurs indifférents, même si cela n'a rien d'illégal. Il est toujours bon de se montrer aimable avec un homme qui est peut-être appelé à un brillant avenir.

Le leader du gouvernement, Jacques Dupuis, accuse l'opposition de s'intéresser à cette affaire simplement parce que M. D'Amour sera candidat à l'élection partielle dans Rivière-du-Loup. Cela me semble être une excellente raison.

Avant d'élire un député qui pourrait éventuellement devenir ministre, ses électeurs sont en droit de savoir à quoi s'en tenir sur son éthique. Déjà, l'an dernier, Philippe Couillard a donné le triste spectacle d'un homme qui a utilisé sa fonction pour s'assurer un après-mandat confortable.

Il est vrai que M. D'Amour n'est ni le premier ni le dernier politicien, libéral, péquiste ou autre, à être engagé par une firme d'ingénieurs désireuse de mettre ses contacts à profit. Ils ne sont cependant pas si nombreux à se soumettre au jugement de la population après le fait.

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mdavid@ledevoir.com

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