Les dérives du bio

Photo: Agence France-Presse (photo)

L'idée a fait grincer quelques dents. En mars dernier, en mettant sur le marché un sirop de poteau dans un contenant de métal jusque-là exploité pour le véritable sirop d'érable, les industries Bernard, mais aussi Décacer, ont déclenché, coup sur coup, une petite vague d'indignation. Chez les acériculteurs, bien sûr, mais aussi chez les consommateurs dont plusieurs ont pris un malin plaisir à souligner un paradoxe bien de notre temps: pour se faire encore plus attirants, ces ersatz composés principalement de sirop de riz se présentaient au public comme étant certifiés biologiques. En grosses lettres.

Bien sûr, l'existence de ces sirops de table, tout comme de leur certification biologique par l'organisme Ecocert Canada, n'a rien d'illégal. Les produits respectent entièrement les normes de production, d'emballage et d'étiquetage en vigueur au pays. Quant à leur caractère bio, il a certainement été reconnu selon les règles de l'art par un organisme crédible et spécialisé dans le domaine. Comme la loi l'impose.

Sauf qu'en revendiquant fortement une appartenance à la maison du bio, ces faux sirops d'érable, qui se sont retrouvés au coeur d'une petite controverse, n'en soulèvent pas moins une question fort dérangeante pour le monde de l'alimentation dite responsable: à vouloir certifier tout et n'importe quoi, les organismes de certification du biologique ne sont-ils pas en train de pervertir sérieusement le concept qu'ils sont pourtant censés défendre?

La goutte de sirop, qui est sans doute en train de faire déborder le vase, vient certainement apporter de l'eau au moulin des détracteurs du bio. Mais elle n'est pas la seule.

Depuis quelques années, en effet, l'univers du biologique se fait de plus en plus intrigant en cautionnant dans les épiceries des aliments qui laissent effectivement perplexe: la mini-carotte biologique importée par camion de Californie, avec les gaz à effet de serre qui viennent avec, est du nombre.

Elle est facilement rejointe par ces nouilles en sauce, de type Chef Boyardee, ces céréales au sucre raffiné, ce sachet de soupe déshydratée extra-sel, cette pizza ou encore ce cola, tous certifiés bio, pour le meilleur et surtout pour le pire.

Comme si ce n'était pas assez, dans les derniers jours, un fromage artisanal au lait cru a fait son apparition dans les frigos d'une épicerie près du Devoir en revêtant lui aussi avec ostentation des atours bio. C'est l'organisme Québec Vrai qui valide la chose.

Très bon, ledit fromage souffre toutefois d'une tare évidente: pour un produit qui affirme se porter à la défense de l'environnement — c'est l'un des fondements du bio —, il est suremballé. Une première couche de plastique le tient sous vide, alors qu'une boîte en carton (bien plus grosse que le produit), par-dessus, vient mettre en valeur son nom ainsi qu'un petit personnage sympathique conçu pour attirer le regard des enfants.

Alors que le meilleur déchet est celui que l'on ne produit pas, la présence sur le marché d'aliments certifiés biologiques qui abusent de leur droit à l'habillement fait certainement désordre. Et ce, même si l'une des deux couches, comme dans le cas du fromage, est recyclable.

Courgettes bios sur assiette de styromousse, biscuits granola bios emballés individuellement, oranges bios dans des sacs de plastique, fromages dans des contenants gigognes... L'incohérence est flagrante, surtout quand on se souvient que le bio a bâti sa réputation, au Québec comme ailleurs sur la planète, sur le respect de la nature, l'absence de pesticides, d'organismes génétiquement modifiés (OGM), d'antibiotiques, et ce, pour léguer un monde plus vert aux générations futures. Dans les grandes lignes.

Et c'est sans doute là que le bât blesse. Face à ces quelques dérives biologiques, dérives qui amènent le bio à encourager trop de transport, à se rapprocher de la malbouffe ou à produire trop de déchets, une étrange évidence est peut-être en train de se profiler: initialement considéré par ses fidèles comme un art de vivre et surtout comme un outil de revendication politique et sociale, le biologique est peut-être en train de ne devenir qu'une vulgaire niche commerciale.

Une niche largement exploitée par l'industrie de l'alimentation et par la grande distribution pour mettre la bonne conscience à la portée de tous, pour une poignée de dollars et lors d'une simple visite à l'épicerie.

Parce que, après tout, à l'époque du tout-maintenant-tout-de-suite, même les idéaux ne doivent pas être trop fatigants à faire vivre!

Logos paysan et bio-paysan

Hasard ou coïncidence, alors que le laxisme du bio semble vouloir de plus en plus s'exprimer dans les allées des magasins à grande surface, sans vraiment déranger les consommateurs qui font toujours grimper les chiffres de vente du biologique au Québec, un petit groupe d'agriculteurs tente de faire naître une nouvelle certification.

C'est l'Union paysanne qui débarque aujourd'hui avec son projet de logo «paysan» et «bio-paysan», comme le révélait Le Devoir en début de semaine.

Présenté comme une sorte de certification biologique améliorée, le concept vise en substance à renouer avec les fondements du biologique en y injectant un peu plus de cohérence.

Ce programme de certification souhaite encadrer les conditions de production d'un aliment. Il veut aussi garantir aux consommateurs que les produits qu'ils achètent viennent d'une ferme qui protège les ressources naturelles à tous les niveaux, en mettant de l'avant le recyclage ou des emballages écologiques, par exemple.

Cette certification veut aussi prendre en compte le rôle social et territorial joué par l'exploitation agricole.

En conjuguant l'achat local et la production biologique, en cherchant à mettre un visage plus humain sur la fonction vivrière de l'agriculture, en s'engageant sérieusement dans la lutte contre la pollution et la surconsommation des ressources naturelles, ce label paysan en devenir a finalement tout pour séduire les milliers de mangeurs qui, au début des années 90, ont permis, sous la pression de scandales alimentaires, de faire décoller l'appellation biologique.

Et ils vont pouvoir tranquillement en profiter pendant une petite dizaine d'années, à partir de son lancement prévu dans deux ans, avant de voir les organismes de certification, l'industrie agroalimentaire et la grande distribution le pervertir.

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conso@ledevoir.ca

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