Faire la bonté? Yes you can !

Ça ressemble à une délicieuse recette Kraft de mon enfance: un amalgame de mauvais ingrédients qui finissent par donner quelque chose de bon. Tiens, mélangez une crise économique mondiale provoquée par la cupidité des banquiers à une crise écologique planétaire engendrée par les ravages du capitalisme et de l'inconscience, saupoudrez de deux ou trois guerres (religion, territoire, pétrole, peu importe le motif) où la haine fait couler le ketchup, et placez en incubation à 350 °F. Il en ressort quoi? Un truc pas très sexy et un peu mièvre qu'on appelle la bonté.
Aussi improbable que cela puisse paraître, le XXIe siècle ne carburera pas à l'électricité ou à l'éthanol, il se propulsera grâce à la bonté sous toutes ses formes. Ce n'est pas moi qui le dis, ce serait trop simple et je ne suis pas futurologue. Mais si c'est un indicatif en soi, la pile de livres qui traitent de bonté sur mon «bureau mou» augmente sans cesse. Elle n'atteint pas en hauteur celle sur les joies du vieillissement mais on sent un courant s'installer en dehors des sentiers battus du bouddhisme, de Gandhi et des grands courants religieux; elle prend sa place dans le civil, tout bonnement.La culture du chacun pour soi et de l'individualisme serait arrivée à destination, acculant son pied du mur, atteignant sa date de péremption. On va revenir tout doucement aux bonnes oeuvres des Cercles de fermières, aux valeurs de Club Lions et de matantes de banlieue qui font de la bonne sauce à spag et vous reçoivent dans leur cuisine qui sent l'amour. On arrêtera de trouver ça quétaine parce que l'amour ne peut jamais être quétaine, contrairement aux recettes Kraft.
Le scoutisme et les b.a si chères à Baden Powell reprennent du service peu à peu. On reparle d'entraide, de se serrer les coudes en même temps que la ceinture. Born again, que nous sommes. Et le messie est un Black. Yes we can.
Le don de soi
«Je veux être bon. Je ne veux accorder à la mort aucun pouvoir sur mes pensées! Car c'est en cela que consiste la bonté et la charité, et en rien d'autre» (Thomas Mann, La Montagne magique).
J'ai lu ces quelques phrases dans la revue de création littéraire Moebus consacrée à la bonté (no 118). J'aime bien aussi celle-ci, de Tzvetan Todorov: «Le bien évoque l'assurance et la suffisance, la bonté plutôt le doute et l'incertitude.» Faire le bien rappelle les curés, faire la bonté, ça ressemble à faire l'amour. Sans les MTS.
La reprise économique pourrait s'éterniser pendant trois ans, nous annoncent les bonzes de la finance. Ce sont trois années lucratives au service de la bonté et d'un mouvement plus citoyen dont on peut déjà percevoir les premiers balbutiements.
Pas plus tard que le mois dernier, un ami pas grano du tout m'a offert de me joindre à une commune pour y vivre, s'entraider, se réunir autour d'un projet collectif symbolisé par un jardin. Je ne pensais jamais que quelqu'un voudrait payer pour m'avoir comme voisine un jour!
La philosophie qui sous-tend cette offre est carrément nouvelle vague; on recrée le village initial comme on peut, le village global fait trop peur.
J'ai accepté de me rallier à cette bande de joyeux fous, séduite par cette société utopique où les enfants ont leur place et où l'amitié sert de liant à la sauce. Je suis une idéaliste foutue, j'aime penser que l'humain peut dépasser son besoin de dominer (par l'argent, le sexe, les armes, la notoriété) et de foutre le bordel à tout prix simplement pour prouver sa supériorité.
La charité chrétienne a été l'un des grands ciments de l'humanité durant des siècles (une hypocrisie également, je sais), détrônée par la religion du fric après un courant hippie qui lui-même s'est fait scier les jambes par le sida. Et une toute nouvelle génération est en train de reprendre en choeur le slogan obamien qui lui était tout destiné. Nous sommes passés de «Make love, not war» à «Buy now, pay later» puis à «Yes we can».
Forte de ses convictions sociales, la génération G (pour générosité), née après 1993, s'imposera dans les trois à huit prochaines années sur le marché du travail avec des valeurs fondamentalement différentes, plus empathiques, dirigées vers l'autre. Avec elle, le mot «société» va reprendre du service. Et le concept de bonté fait partie de la mission de l'entreprise; les G ont même complété leur Bénévolat 101 à l'école.
Donnez au suivant
Sur le site trendwatching.com, ce mois-ci, on explique justement aux entreprises comment appâter la génération G en huit points précis. Et on insiste sur le fait que cette génération n'est pas tant un groupe d'âge qu'un groupe de consommateurs répugnés par l'appât du gain des grandes compagnies cotées en Bourse qui nous a plongés dans une gadoue économique sans fond.
«Giving is the new taking and sharing is the new giving.» On donne pour mieux recevoir et on partage pour mieux donner. «Give, give, give, give to get» est le nouveau slogan commercial. Cette génération a déjà l'habitude de «partager» sur les sites sociaux comme Facebook et la culture en ligne est la seule qui vaille. Elle se regroupe pour un oui ou un non, pour sauver les bas perdus dans les sécheuses, pour appuyer les fromagers du terroir en péril, comme pour soutenir un potentiel TGV entre Montréal et Gaspé.
Qu'importe, elle se regroupe et compte beaucoup d'«amis». Qu'ils soient virtuels ou charnels, ces amis vous donnent le sentiment d'appartenir à une communauté. Et la bonté est un levier extraordinaire pour initier des projets mobilisateurs entre amis.
Plus un artiste, plus une multinationale et bientôt plus un commerce ne pourra survivre sans s'associer à une cause. Vous déposerez vos canettes en aluminium à l'épicerie et la machine qui les avale vous proposera d'envoyer l'argent au Club des petits-déjeuners. Vous texterez un mot d'amour sur votre portable et la compagnie de téléphone enverra cinq sous à la Fondation des maladies du coeur. Tiens, je viens de voir qu'à Chicago, Kraft chauffe des abribus et distribue gratuitement des repas chauds en sachet. La merde en or? On y est presque. Et ce sera bientôt la seule façon de s'«enrichir».
cherejoblo@ledevoir.com
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«La bonté en parole amène la confiance. La bonté en pensée amène la profondeur.
La bonté en donnant amène l'amour.» - Lao-Tseu
«Je sais qu'il y a beaucoup de gens qui font du bien dans le monde, mais ils font pas ça tout le temps et il faut tomber au bon moment. Il y a pas de miracle.» - Romain Gary, La Vie devant soi
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Adoré: l'album La Carie d'Avi Slodovnick et Manon Gauthier (400 coups). C'est l'histoire d'une petite fille qui se fait arracher la dent parce qu'elle a une carie. Et au lieu de la déposer sous son oreiller pour que la fée des dents vienne lui porter des sous, elle la donne à un sans-abri pour qu'il puisse avoir l'argent. Un geste de générosité pure, comme en sont parfois capables les enfants. Une histoire de bonté toute simple.
Écouté: la deuxième heure de l'émission Par quatre chemins du 15 février dernier, disponible sur le site web de Radio-Canada. Mon ami Languirand y traitait de la gentillesse et de la bonté dans plusieurs articles repris par le Courrier International, initialement parus dans The Independent, The Guardian et El Pais. Comme dit «l'ancêtre», ce sont des journaux sérieux, pas des catalogues de jeunes filles en fleur. Notre monde, perçu comme hostile, se tournerait peu à peu vers l'amabilité. Et plus la population vieillit, plus elle a besoin de bonté, d'égards, de ménagement. Parfois, la bonté, un sourire, un geste gratuit, c'est ce qui va remettre un suicide au lendemain.
Remarqué: «La semaine pour faire quelque chose de bon», du 2 au 6 mars 2009. Une première. Comme par hasard, ça tombe pendant la semaine de relâche scolaire. C'est parfait, tout le monde a le temps. Parrainée par Jean-François Carrey — un «bon samaritain» de 27 ans qui donne des conférences sur le pourquoi de la bonté et qui a reçu le prix Ambroise-Lafortune pour son engagement et son dévouement dans le mouvement scout canadien —, cette semaine lance un défi aux Québécois: faites une b.a. Et qui est à l'origine de ce mouvement charismatique? Maxwell House... Bon jusqu'à la dernière goutte! En tout cas, ils ont appliqué la devise «Wake up and smell the coffee!»
Parcouru: L'Art d'être bon - Oser la gentillesse de Stefan Einhorn (Belfond). Après tant de cynisme et de désillusion, être gentil demande du courage, oui. Ce n'est ni un parcours de faible, ni une vertu de perdant. L'auteur suggère d'être gentil par égard pour soi-même si on ne trouve pas de raisons de le faire pour les autres. On y traite d'éthique, de réussite, d'empathie naturelle (même chez les bébés) et des forces contraires qui nous empêchent d'être bons, comme le manque de temps et de ressources, d'empathie ou de réflexion, le refus de s'impliquer, ne pas appliquer ce que nous prêchons, l'agressivité innée, la mentalité de victime (l'impuissance), la déresponsabilisation (c'est pas mon problème), le fatalisme, et il en existe certainement d'autres.
Reçu: la dernière brique du psychologue Daniel Goleman (le best-seller, L'Intelligence émotionnelle): Cultiver l'intelligence relationnelle - Comprendre et maîtriser notre relation aux autres pour vivre mieux (Robert Laffont). Quand la science s'en mêle, ça donne ceci: «Nos interactions sociales agissent comme des modulateurs, des thermostats interpersonnels qui régulent en permanence les aspects essentiels de notre cerveau en orchestrant nos émotions.» Nos interrelations auraient un effet sur l'activation de tel ou tel gène, sur notre système immunitaire. Les relations bénéfiques auraient un impact positif sur notre santé et les relations négatives agiraient comme du poison. Excellent chapitre sur les psychopathes, l'envers de la bonté. Et lorsqu'ils se doublent de manipulateurs, mimant l'empathie, vous avez affaire à des escrocs professionnels. L'auteur aborde le phénomène de corrosion sociale, insidieux et de plus en plus important. Il dédie son livre «aux générations futures».