Beaux sourires à Munich
Chaque année, début février, Munich est le théâtre d'une conférence axée sur la sécurité, les grands équilibres stratégiques... dans l'esprit de ce que l'on appelait naguère «le dialogue Est-Ouest».
Il y a deux ans, la Conférence de Munich avait mis en vedette, dans le rôle du «méchant», le président russe, Vladimir Poutine. Abordant le thème du «monde unipolaire», il avait, en ce glacial 10 février 2007, accusé sans ménagement les États-Unis:«Qu'est-ce qu'un monde unipolaire? Malgré toutes les tentatives d'embellir ce terme, il ne signifie en pratique qu'une seule chose: c'est un seul centre de pouvoir, un seul centre de force et un seul centre de décision. C'est le monde d'un unique maître, d'un unique souverain. En fin de compte, cela est fatal à tous ceux qui se trouvent au sein de ce système aussi bien qu'au souverain lui-même, qui se détruira de l'intérieur.»
Le «discours de Munich» de Poutine est rapidement devenu le point de référence et le début — en quelque sorte officiel — d'un refroidissement marqué entre la Russie et les États-Unis. La guerre éclair du Caucase, à l'été 2008, au cours de laquelle la Géorgie a perdu les territoires d'Abkhazie et d'Ossétie du Sud, fut l'illustration la plus concrète de cette nouvelle tension.
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Or, qu'avons-nous vu à la Conférence de Munich 2009, qui s'est achevée ce week-end? Sourires, poignées de mains, allocutions conciliantes, pleines de bonne volonté... Il y avait là le président français, la chancelière allemande, le nouveau vice-président américain, des représentants de l'Iran... et le président russe, qui ne s'appelle plus Poutine même s'il en est l'émanation.
Une question hantait les esprits: l'équipe Obama va-t-elle changer le discours, mais aussi les pratiques de Washington en politique étrangère? Sur le changement de ton, on a déjà tout dit: il y a indéniablement une nouvelle approche, illustrée notamment par cette fameuse entrevue d'Obama à la télévision Al-Arabiya («nous devons écouter et ne plus dicter»), et confirmée par Joe Biden à Munich.
Cette ouverture américaine a trouvé des oreilles réceptives, y compris aux deux endroits où ce devait être, en principe, le plus difficile: à Moscou et à Téhéran.
Le vice-premier ministre russe, Sergueï Ivanov, a parlé à Munich d'un «signal très fort» vers la reprise d'un dialogue russo-américain. Quant au président du Parlement iranien, Ali Larijani (ex-responsable du dossier nucléaire à Téhéran), il a parlé de «signaux positifs». Mais son intervention était moins optimiste que les autres: «Il faut abandonner, à l'égard de l'Iran, la vieille approche de la carotte et du bâton.»
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Bonne ambiance, donc, dans ce palace de la capitale bavaroise où l'on s'est échangé des amabilités, y compris entre gens qui s'insultaient encore récemment. Il se passe parfois, dans de telles réunions et leurs coulisses, des choses que les mots ne rendent pas. Parce que, si l'on s'en tient aux mots — et spécifiquement, au texte de l'allocution du vice-président américain —, eh bien, ce que l'on y trouve ne paraît pas si «nouveau».
Sur le bouclier antimissile, projet cher à George Bush et qui a enragé les Russes: «Nous allons continuer à développer nos défenses antimissiles pour contrer les capacités grandissantes de l'Iran, à condition que la technologie fonctionne et que le coût en vaille la peine.»
Et sur l'Iran proprement dit: «[...] discuter avec l'Iran et lui offrir un choix très clair: poursuivre dans la même voie et faire face à la pression et à l'isolement... ou abandonner votre programme nucléaire illicite et le soutien au terrorisme et obtenir des mesures d'encouragement significatives.»
Soit exactement l'approche paternaliste de la «carotte et du bâton», stigmatisée un peu plus tôt par l'officiel iranien! Et sur le bouclier antimissile, aucun signe de l'abandon du projet... ce que beaucoup espéraient pourtant.
En fait, ces deux citations de Joe Biden à Munich auraient pu être tirées (hormis les mots «discuter avec l'Iran») de l'allocution d'un officiel de l'époque Bush. Comme quoi, il arrive que la forme et l'atmosphère ambiante... soient plus importantes que le fond et le contenu des discours!
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François Brousseau est chroniqueur d'information internationale à Radio-Canada. On peut l'entendre tous les jours à l'émission Désautels à la Première Chaîne radio et lire ses carnets dans www.radio-canada.ca/nouvelles/carnets.
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.