L'homme de l'année
À côté de Barack Obama, dont l'élection a enthousiasmé la terre entière, les divers candidats au titre de personnalité de l'année ont des allures lilliputiennes.
Même à la modeste échelle du Québec, Jean Charest serait certainement le premier à reconnaître que le remarquable retour qu'il a effectué en 2008 constitue un bien moindre exploit que l'entrée d'un premier président noir à la Maison-Blanche.Les résultats des élections du 8 décembre dernier n'ont peut-être pas été à la hauteur de ce que les libéraux espéraient, mais il demeure qu'aucun chef de parti québécois depuis Maurice Duplessis n'avait réussi à obtenir trois mandats de suite, même si M. Charest a lui-même choisi d'écourter le deuxième.
Dans un passé plus récent, je n'ai pas souvenir d'un premier ministre qui soit revenu d'aussi loin. Au lendemain du référendum de 1980, les jours du gouvernement péquiste semblaient comptés, mais la popularité personnelle de René Lévesque demeurait intacte, tandis que M. Charest a connu une véritable disgrâce.
On a beaucoup disserté sur sa nouvelle image. Qu'il ait réellement découvert les mérites de la consultation ou qu'il ait simplement voulu tuer le temps et amadouer l'ADQ en attendant de retrouver une majorité à l'Assemblée nationale, le succès politique de l'opération est indéniable.
Il n'y a cependant rien de plus volage que la fortune politique. L'an dernier, j'avais choisi Mario Dumont comme personnalité de l'année. Le chef de l'ADQ avait été le grand responsable de la tenue d'un vaste débat sur les accommodements raisonnables et de l'élection d'un premier gouvernement minoritaire au Québec depuis 1878.
Dans son bilan de fin d'année, M. Dumont avait lui-même déclaré que 2007 avait été «le plus grand cru de toute l'histoire de l'ADQ». Douze mois plus tard, ramené brutalement à la case départ, il annonçait son retrait de la vie politique. L'important n'est déjà plus de savoir qui a dominé la dernière année, mais plutôt qui sera l'homme ou la femme de 2009.
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Les attentes à l'endroit du premier ministre ne sont pas très élevées. Si une grande partie de l'humanité a placé ses espoirs dans le nouveau président américain, les Québécois ont plutôt vu la réélection du gouvernement Charest comme un pis-aller.
Au cours des prochains mois, l'état de santé de l'économie québécoise dépendra pour l'essentiel des décisions qui seront prises à Washington et, dans une moindre mesure, à Ottawa. Après avoir précipité le déclenchement d'élections sous prétexte qu'un «gouvernement de stabilité» serait mieux en mesure de faire face à la crise, M. Charest ne pourra cependant pas jouer les Ponce Pilate.
Si la crise va en s'aggravant, les électeurs canadiens n'auront pas le loisir de s'en prendre à M. Obama. Ils devront se rabattre sur les politiciens qu'ils ont sous la main. La bonne nouvelle pour les libéraux du Québec est que les conservateurs de Stephen Harper seront les premiers à affronter l'électorat, mais leur tour viendra tôt ou tard.
Pendant cinq semaines, M. Charest a pu faire campagne sur le seul thème de l'économie. Tout le monde reconnaît la gravité de la situation, mais le gouvernement ne pourra pas continuer à faire comme si tout le reste pouvait être mis entre parenthèses en attendant que l'économie se redresse.
À peine une semaine après les élections, l'Institut de la statistique du Québec révélait que le taux de décrochage dans les écoles du Québec avait augmenté de 24,2 % en 2005-2006 à 25,3 % en 2006-2007. Dans certaines régions, la hausse dépasse les 4 %. Il est difficile de croire que personne au gouvernement n'était au courant de cette détérioration. Curieusement, on n'a pas jugé utile d'aborder la question durant la campagne.
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Peu importe de quel côté on se tourne, le troisième mandat libéral s'annonce difficile. Alors que le ralentissement de l'économie entraînera une baisse des revenus du gouvernement, les centrales syndicales projettent de faire front commun pour permettre aux employés de l'État de bénéficier d'un rattrapage salarial. Cela risque d'affecter les rapports étonnamment amicaux que le gouvernement et les syndicats entretiennent depuis un an.
Le premier ministre détient cependant un grand atout: après trois mandats, il n'a plus à se soucier de sa réélection. Il ne faut cependant pas s'y tromper: M. Charest adore son métier et, contrairement à un homme comme Lucien Bouchard, il n'a jamais manifesté le désir d'aller s'enrichir dans le secteur privé. Certains le soupçonnent de bénéficier déjà de revenus supplémentaires, mais personne ne doute qu'il ait envie de continuer à faire de la politique.
Sa capacité de surmonter l'adversité n'est plus à démontrer, mais il est suffisamment réaliste pour mesurer l'extrême difficulté d'obtenir un quatrième mandat dans des circonstances aussi défavorables.
Il faut donc s'attendre à ce que les rumeurs d'un éventuel retour à Ottawa, qui circulent déjà depuis dix ans, reprennent de la vigueur au cours de la prochaine année. Bien entendu, il faudrait qu'une ouverture se présente, mais la scène fédérale s'annonce fertile en rebondissements. Si M. Charest veut à nouveau être désigné homme de l'année, ses chances semblent nettement meilleures de ce côté.
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mdavid@ledevoir.com