Voyages: De l'eau! De l'eau!
Au moment où vous lirez ces lignes, peut-être les États-Unis auront-ils officiellement déclaré la guerre à l'Irak. Avec, en fond de scène, le contrôle de l'approvisionnement pétrolier. Au nom, bien sûr, de la défense de la liberté et de la démocratie. Mais qu'en sera-t-il quand, beaucoup plus tôt qu'on le pense, l'enjeu sera l'eau, ressource essentielle à toute vie et à toute économie mais très inégalement répartie ? Et dites-vous que, dans cette loterie, le tourisme n'est pas innocent de tout crime.
Il est pour le moins ironique que le paroxysme de la tension entre les président Bush et Hussein coïncide avec la tenue à Kyoto du troisième Forum mondial de l'eau qui, du 16 au 23 mars, réunira par centaines des représentants de gouvernements et d'organismes préoccupés de trouver des solutions à court et à long termes à ce fléau qu'est la mauvaise gestion de l'eau. Les feux de l'actualité seront braqués sur l'affrontement belliqueux entre le bien et le mal qui fera son lot de morts alors que la très probable bataille de l'eau sera plus meurtrière encore.Mais pourquoi mêler le tourisme à tout cela ?
Parce que sans eau, qu'elle soit douce ou salée, le tourisme n'existerait pas.
L'eau constitue un attrait majeur. Pensez aux littoraux, aux berges des lacs, des rivières et des fleuves. Le contact des éléments terrestres et aquatiques façonne des paysages qui ont, depuis l'aube de l'humanité, inspiré les sociétés et leurs artistes en particulier. Relisez Virgile ; souvenez-vous de Malher et de sa cabane retirée devant les flots. Qui ne ferait pas des kilomètres et des kilomètres pour se repaître du spectacle de l'eau ? C'est ce qu'a compris l'industrie du tourisme — sans oublier la villégiature — qui concentre largement ses équipements à sa proximité.
En tourisme, l'eau remplit de multiples rôles et fonctions. Elle permet le transport, la baignade, la pêche, le canotage, la plongée et plein d'autres activités sportives auxquelles peuvent s'ajouter, en saison froide, le ski, la raquette et la motoneige.
En un mot, l'eau est une inépuisable source de divertissement.
Au sens propre, cependant, la source risque de se tarir. Et à la vitesse grand V. Car le tourisme est un grand, un très grand consommateur d'eau. Une eau qui, très souvent, a besoin d'être traitée, c'est-à-dire dépolluée et remise en état, avant d'être retournée à la nature.
Combien de litres sont chaque jour nécessaires au fonctionnement des cuisines et à la préparation des plats, à l'entretien des établissements hôteliers et au ménage des chambres, à la survie des pelouses et des jardins impeccables ? Et combien d'autres pour activer les canons à neige dans les stations de ski, pour alimenter les terrains de golf et leurs verts ? Pour remplir fontaines et piscines ?
Toutes les prévisions concordent : cette demande va s'accroître. Et, en conséquence, la pression sur la ressource. Une pression consentie pour satisfaire des gens qui, déjà, chez eux, n'en manquent pas.
Les statistiques le démontrent : les touristes, pour leur très forte majorité, proviennent de régions du monde qui ne vivent pas de déficit d'eau. Et même qui se permettent le luxe de gaspiller ce qui manque cruellement à un humain sur cinq : c'est le cas, par exemple, des Européens du nord et du centre, des habitants des États-Unis d'Amérique et aussi des Canadiens.
Selon le Conseil mondial de l'eau, nos voisins se classent en effet au dernier rang d'une liste de 147 pays évaluant l'efficience de leur consommation respective en eau. Mais, de ce côté-ci de la frontière, nous ne sommes pas en reste : comme le rappelait récemment Louis-Gilles Francoeur, nous consommons nous-mêmes, en zone résidentielle, quelque 600 litres par jour, largement plus que la moyenne mondiale, qui est de 137 litres, et que l'Afrique subsaharienne.
Vous l'avez compris, entre l'eau et le tourisme émerge une question d'éthique à laquelle les gouvernements et l'industrie du tourisme semblent peu sensibles. Nous pourrions, n'est-ce pas, épiloguer longtemps sur le non-sens et le scandale, tant écologique que social et économique, que représente Las Vegas, ogre avaleur d'eau en plein désert, toujours plus assoiffé, dont les besoins contribuent activement à épuiser les nappes phréatiques environnantes et à affecter le débit du Colorado, puissant fleuve qui, grâce à d'autres ponctions sur son parcours, arrive presque asséché à son embouchure dans le Pacifique. Mais c'est là un moindre problème puisque celle-ci se situe au Mexique...
En février dernier, du 20 au 22 plus précisément, s'est tenue en Virginie de l'Ouest une autre édition du Berkeley Springs International Water Tasting, sous le thème « Water : Our Legacy ». Héritage reçu et héritage à laisser : non seulement ses participants ont-ils goûté de l'eau provenant d'une centaine de sources des États-Unis et d'un peu partout autour du globe, ils ont souligné que l'eau est un bien précieux qu'il s'agit à la fois de bien utiliser et de savoir partager.
Sans eau, ont-ils insisté, personne ne peut vivre. Sans suffisamment d'eau, la santé de chacun est en danger : une diminution du volume d'eau dans le corps humain aussi faible que 2 % peut entraîner des troubles de mémoire et des difficultés de concentration. Or, troublant paradoxe, ont-ils noté : en leur pays pourtant si riche en « or bleu », 75 % des États-Uniens souffrent de déshydratation chronique...
Malgré les cris et la fureur en Mésopotamie, entre les deux fleuves, le Tigre et l'Euphrate, qui donnèrent vie à de brillantes civilisations, les débats et discussions au Forum de Kyoto seront donc à scruter de près. Il sera notamment intéressant de voir quelle analyse cette agora planétaire fera des liens tissés entre l'eau et le tourisme. Et quelles pistes ils suggéreront.