À la recherche du dieu amérindien

Les derniers mots de Peuple invisible, le documentaire de Richard Desjardins, sont prononcés par un vieil Algonquin qui résume tout le film en une seule sentence: «C'est ça qu'ils nous ont volé, c'est tout... la nature!»

S'il a été question de revendications politiques et territoriales, de problèmes sociaux et économiques, dans cette charge du poète abitibien contre l'establishment des Blancs, nulle part n'est évoquée la dimension spirituelle des premiers occupants d'Amérique, sauf peut-être dans une séance de bingo et une cérémonie de mariage à l'église... en français.

La nature n'est pas simplement un territoire, elle est un enseignement, une sagesse, une énergie, une religion, le Grand Mystère, le Grand Esprit, le creuset de la Vie. En leur volant la nature, leur âme, nous avons tué bien plus que le visible, nous avons braconné l'invisible, profané le sacré.

Et c'est sur cette notion lourde de sens et de conséquences que s'appuiera la quatrième direction de l'émission radiophonique Par quatre chemins, à Radio-Canada. À compter du dernier dimanche d'août, toute la quatrième heure sera consacrée à la spiritualité amérindienne, durant quarante semaines.

Vaste programme qui habite mon ami Jacques Languirand depuis des lunes et rejoint ses propres croyances panthéistes: «"Pan" pour "tout" et "théiste" pour "Dieu"», m'explique-t-il, entouré d'une multitude d'ouvrages sur les Amérindiens. La plus belle religion, c'est le panthéisme. C'est une croyance qui s'impose dès que tu te mets à regarder la nature avec sérieux. Peu importe le clan, traditionnellement, les Amérindiens ont tous cette connexion avec la nature. Mais c'est une beauté de leur culture qu'eux-mêmes ont oubliée. Ils ont perdu le contact avec ça et n'ont plus idée d'où ils viennent. C'est un héritage dont il faut prendre conscience. Ma démarche est d'aller dans le sens de la beauté avant que ce ne soit perdu à jamais. Ça frappe plus fort que la politique, mon truc!»

Culpabilité larvée

Au moment où la nature blessée et l'écologie surgissent dans la conscience émergente, à l'heure où la sagesse amérindienne et le rapport intime à la Terre-Mère semblent aller de soi, la démarche de Languirand tombe à point nommé.

«C'est dans l'air. Ces gens-là ont été les premiers réfugiés environnementaux, en quelque sorte, rappelle le porte-parole du Jour de la Terre. Et ils avaient une éthique écologique, ça explique l'intérêt actuel pour ça. Les Amérindiens sont très à la mode parce que le problème va s'amplifier. Nous sommes les enfants des bandits qui leur ont volé leur territoire pour l'exploiter. Il faut au moins le reconnaître.

«Et je lève mon chapeau à Richard Desjardins, même si nos démarches sont différentes. Il n'y a pas de chaman dans son film parce que c'est déjà mort. Il n'y a déjà plus de relation avec la grande culture amérindienne. Ils ne vont pas aller parler de la Terre-Mère à des fonctionnaires!»

La version du catholicisme étroit servie à l'époque a fait complètement abstraction de leur «animisme primitif» ou, comme l'appelle Languirand, «cosmothéisme premier».

Soucieux d'extirper le savoir des universités et de vulgariser la connaissance qu'il acquiert, l'homme de radio ne rivalise pas avec les anthropologues qui ont déjà fouillé le sujet à fond, mais il mesure également toute la portée de la culpabilité face à la question autochtone: «C'est mieux de ne pas parler des Indiens, que ça reste dans les universités. Y a une gêne devant cette question, et beaucoup d'ignorance. Peu de gens savent.»

Lorsque je lui rapporte cette phrase de mon frère: «Nous ne pourrons jamais être une nation tant que nous n'aurons pas réglé notre culpabilité envers les autochtones», mon manitou préféré ajoute en riant: «Tu peux dire que c'est moi qui l'ai dit!!!»

Languirand est conscient qu'il risque de tomber dans la mystique de l'Indien généreux avec son émission: «Je garde à l'esprit que ce ne sont pas des saints...»

Nous bavardons des thèmes de sa future «quatrième heure»: les symboles, les rites initiatiques, la mythologie, le rôle des femmes, les rites de torture, l'adoption, les aînés, le partage, la fraternité avec tout ce qui vit, la guérison énergétique, les chamans.

«Ils ont un attachement mystique à la Terre, à une nature pensante. Ils accordent de l'importance aux signes, aux rêves, aux choses qui n'auraient aucun sens si ce n'est que tu pourrais leur en donner un. Voici, pour appuyer ce que je te dis: "À l'ouest des États-Unis, dans les cultures des Grandes Plaines, le code moral était fondé sur la générosité, la vaillance, le stoïcisme et l'expérience individuelle du divin. Pour être digne d'être vécue, l'existence devrait être perçue comme une longue cérémonie transformant le quotidien en aventure mystique." Et plus loin: "Le potentiel sacral de la nature fait de l'ensemble de l'univers une source d'expériences spirituelles." C'est tiré du Livre des sagesses, chez Bayard. Les Français se sont intéressés davantage que nous à la spiritualité amérindienne.»

Vision périphérique

Outre le calumet (dont le fourreau symbolise l'univers), l'arbre de vie, les rituels de purification et de sudation, les danses du soleil ou les révélations spirituelles dans des lieux jugés sacrés, Languirand s'intéresse au cercle.

«Comme dit Black Elk (un homme médecine lakota), le pouvoir ne peut s'exercer que dans des cercles. Écoute!: "De nos jours, tout est trop carré. Dans notre peuple, le Cercle Sacré est en train de disparaître. On nous donne même des tentes carrées, et nous y vivons. Les oiseaux et leurs nids sont ronds. Si vous mettez des oeufs d'oiseau dans un nid carré, la mère oiseau n'y restera pas. Les Indiens et les oiseaux sont comme des parents. Tout essaye d'être rond — le monde est rond." C'est dans Le Sixième grand-père, un livre qui porte sur Black Elk.»

Entre voir et regarder

Loin, très loin du nombrilisme actuel, qui place l'homme au centre du monde, l'Amérindien fait partie intégrante de ce qui l'entoure. «Les chasseurs devaient voir large pour subsister dans la forêt, explique Languirand. Ils avaient une vision périphérique. Il y a une différence entre voir et regarder. Nous, on regarde, on est habitués à lire, à "focusser". Eux sont capables de voir, d'avoir une attention sur les côtés qui leur permet de tirer avec la carabine à la hanche. Ta vision conditionne ton regard sur le monde. Quand tu vois le monde comme un ensemble, tu en fais partie. Tu te perçois à l'intérieur, tu es contenu dans cet univers, absorbé dans cette vision.»

Et dans la vision de mon vieil ami pas si sage, il y a toujours un grand rire pour nous déstabiliser et nous rappeler qu'il ne faut pas trop se prendre au sérieux dans l'univers.

«Écoute cette citation: "De plus en plus, les communautés du Nunavik se dotent de chiens de traîne. Un chien finit toujours par te ramener à la maison, tandis qu'une motoneige..."» (rire languiranesque qui s'éteint comme l'écho du Grand Esprit).

Moi, Blanche(tte), avoir intuitivement compris que les moteurs finissent par vous trahir, contrairement aux chiens, qui ne sont pas sujets à une taxe sur le carbone.

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Joblog

Une véritable plume d'Indien

Davantage qu'à du réalisme déconcertant, ça ressemble à du cynisme, une variante de la douleur marquée au fer rouge dans le Peau-Rouge. Sherman Alexie, ce poète épormyable, ce lucide de l'âme amérindienne, met le pied dans un enfer qui nous extrait du manichéisme primaire, le mythe du bon Sauvage et du méchant Blanc.

L'enfer est rouge et il y fait chaud. La chaleur est parfois insupportable dans les bouquins de cet auteur autochtone américain, largement diffusés. Heureusement que le lire rend plus intelligent et peut-être plus sensible à la complexité des exilés du giron de la Terre-Mère.

J'ai plongé dans le recueil de nouvelles Dix petits Indiens (Albin Michel, 2004) à la recherche d'une citation et j'en ai trouvé des dizaines qui renvoient à la colère, à la violence, à la souffrance d'être un Indien en terre d'Amérique. On peut faire comme Richard Desjardins et prendre ouvertement le parti de l'Indien déplumé, mais tout n'est pas si tranché; la vengeance est douce au coeur du Sauvage, même envers ceux qui lui tendent la main. Ils sont nos juifs à nous, nos «génocidés». Nos consciences ne seront plus jamais tranquilles, en leur présence comme en leur absence.

C'est du moins ce qu'on comprend en lisant Alexie, qui porte un regard lapidaire, parfois amer, sur cette dynamique infernale. L'Indien peut fumer le calumet de paix, il peut sourire, acquiescer, mentir, écouter, sembler mystérieux, mais il n'en pense pas moins. Son mépris est aussi vaste que cinq cents ans de blessures infligées à coups de traités non respectés.

Tout peut être haïssable chez un Blanc, même sa bonté. L'Indien n'a qu'à penser aux hommes de Dieu qui enseignent le pardon mais ne le demandent pas.

«Il était facile de haïr la vanité des Blancs, la colère des Blancs et l'ignorance des Blancs, mais que dire de la compassion des Blancs, du génie des Blancs et de la poésie des Blancs?», écrit Sherman Alexie.

Mieux encore: «Les Blancs, aussi intelligents soient-ils, étaient trop sentimentaux pour ce qui touchait aux Indiens. Ils considéraient le Grand Canyon, les chutes du Niagara, la pleine lune, les nouveau-nés et les Indiens avec le même sentimentalisme niais. Étant une Indienne intelligente, Corliss avait toujours tiré avantage de ce sentimentalisme, sans que cela signifie pour autant qu'elle désire baigner dedans. Si les Blancs la prenaient pour un être exceptionnel, doté d'une grande sagesse, d'une grande spiritualité et d'une grande sérénité simplement parce qu'elle était indienne, elle ne voyait aucune raison de les détromper. [...] Elle n'ignorait pas qu'un jour viendrait où les Blancs finiraient par comprendre que les Indiens étaient tout aussi incurablement ennuyeux et égoïstes qu'eux et qu'ils sentaient tout aussi mauvais qu'eux, ce qui serait un grand jour pour les droits de l'homme, mais un triste jour pour Corliss.»

C'est ce qu'on appelle un no win, j'imagine.

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