Perspectives - Fannie et Freddie

On pensait avoir traversé le pire de la crise financière provoquée par l'éclatement de la bulle immobilière aux États-Unis et on croyait que la situation ne pouvait plus désormais que s'améliorer. Et voilà qu'une certaine Fannie avec son Freddie menacent de tout faire recommencer. Vivement qu'on mette un peu d'ordre là-dedans!

C'est comme si on offrait un deuxième service à un enfant qui a fini de peine et de misère son assiette de boudin.

Au moment même où le monde de la finance américaine semblait en train de se remettre de ses émotions des derniers mois, une nouvelle tuile lui est tombée dessus, lundi dernier, sous la forme d'une note de recherche de la banque d'affaire Lehman Brothers.

Se fondant sur de nouvelles règles comptables à venir, cette étude conclut que les deux grands organismes de refinancement hypothécaire aux États-Unis, le Federal National Mortgage Association (gentiment appelée Fannie May) et le Federal Home Loan Mortgage Corporation (virilement surnommé Freddie Mac), pourraient être forcés de trouver la peccadille de 75 milliards $US d'argent frais à cause de l'effet conjugué de l'augmentation du nombre de défauts de paiement et la baisse du prix des maisons. Les savants auteurs de l'étude admettent eux-mêmes qu'il y avait peu de chances qu'en ces temps troublés les gouvernements exigent de ces deux piliers du secteur immobilier américain qu'ils se mettent en quête de l'équivalent de trois fois la valeur de leur capitalisation boursière. Mais les investisseurs n'écoutaient déjà plus. Toujours prompts à la panique et sévèrement échaudés ces derniers mois, ils se sont rués vers la sortie, faisant chuter la valeur des actions de Fannie May et Freddie Mac de plus de 50 % en seulement cinq jours.

Il faut dire que la nouvelle a de quoi faire peur, et pas seulement aux actionnaires. À eux deux, Fannie May et Freddie Mac possèdent ou garantissent auprès des banques près de la moitié des 12 000 milliards de prêts hypothécaires aux États-Unis. Une crise majeure pourrait les obliger à tellement resserrer leurs critères d'admissibilité qu'il deviendrait pratiquement impossible aux acheteurs d'une maison d'obtenir un prêt, les banques, de leur côté, ayant pratiquement renoncé à ce rôle pour le moment. S'il venait au gouvernement américain l'idée de prendre à sa charge les obligations financières de ces sociétés semi-publiques, il alourdirait son propre passif de près 60 %. Mais la plus grande crainte est de voir les deux géants entraîner un secteur financier encore fragile dans une nouvelle spirale descendante, aux États-Unis, mais aussi à l'étranger où de nombreux investisseurs, institutions financières et même banques centrales en détiennent des actions.

Le premier geste des autorités américaines — le ministre du Trésor, Henry Paulson, et le président de la Réserve fédérale américaine, Ben Bernanke, en tête — a été d'assurer que Fannie et Freddie disposaient de toutes les liquidités nécessaires pour faire face aux humeurs du marché. L'information rapportée par le New York Times, vendredi, selon laquelle le gouvernement envisageait quand même la possibilité de mettre les deux organismes sous tutelle a été qualifiée de fausse... pour le moment.

Besoin de plus de réglementation

Comme solution à plus long terme, Henry Paulson a pressé le Congrès américain d'adopter son projet de resserrement des mécanismes d'encadrement des deux organismes. On voudrait notamment les soumettre à un nouvel organisme de surveillance similaire à ceux qui supervisent les banques. On souhaiterait également qu'ils ne se servent pas tant de l'effet de levier que leur donne la garantie financière implicite du gouvernement américain et qu'ils augmentent leur capitalisation. «Le modèle d'affaires qu'utilisent ces entreprises est celui des hedge funds», a dénoncé la semaine dernière le prédécesseur d'Henry Paulson au Trésor, John Snow. On voudrait aussi qu'ils se montrent plus vigilants sur la qualité des hypothèques dont ils ont la charge. On se demande même s'il n'y aurait pas lieu de leur confier un rôle d'acteurs contre-cycliques qui engrangeraient des réserves en période de prospérité et qui assoupliraient leurs critères de prêt durant les années difficiles.

Ce projet de réforme s'inscrit dans un plus large objectif de resserrement de l'ensemble des règles des marchés financiers auquel les Américains ont longtemps résisté, mais qui fait maintenant de plus en plus son chemin, aussi bien chez les élus que chez les acteurs économiques. Henry Paulson a même présenté, à la fin du mois de mars, les grandes lignes d'un projet de réforme que la revue britannique The Economist a qualifié «du plus audacieux dans le domaine depuis la Dépression». De l'avis du ministre du Trésor, comme de plusieurs autres, le principal problème aux États-Unis est le chevauchement d'une multitude de lois et d'organismes de surveillance, souvent isolés les uns des autres et tellement désuets qu'ils empiètent les uns sur les autres ou négligent des pans entiers de l'économie.

Le hic est que ce projet ne fait pas l'unanimité aux États-Unis, pas plus que n'importe quelle autre idée de réforme pour le moment. De plus, si même à droite on se dit aujourd'hui disposé à accepter un certain resserrement de la réglementation, même à gauche on dit qu'il ne faudrait pas non plus exagérer pour ne pas nuire à la capacité concurrentielle des entreprises américaines, ni courir le risque de faire fuir les entreprises vers d'autres cieux. Tout le monde semble, par exemple, convenir aujourd'hui aux États-Unis que la loi Sarbanes-Oxley (SOX), adoptée en réaction aux scandales d'Enron, aurait gagné à être plus finement et plus patiemment conçue.

On est bien conscient aussi que la mise en place de mécanismes d'encadrement mieux adaptés et plus rigoureux ne suffira pas pour se protéger complètement des aléas et des dérapages du capitalisme. «Ce qui arrive à Fannie May et Freddie Mac n'est pas dû à un manque d'organismes de régulation, disait la semaine dernière la journaliste spécialisée Gretchen Morgenson, dans un entretien audio dans le site Internet du New York Times. Le problème est que cet organisme de réglementation dormait sur la switch.»

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