Les caisses de retraite tardent à recouvrer la santé
L'absence de rendement retarde le retour en santé des régimes de retraite. Selon la lecture faite, les ratios de solvabilité demeuraient à des niveaux déprimés après six mois en 2008, effaçant le recouvrement observé en 2006 et 2007.
Tant chez Watson Wyatt que chez Mercer, on retient que l'absence de rendements globaux derrière la volatilité des indices sectoriels est venue altérer la santé financière des caisses de retraite en 2008. En fait, même s'il y a eu amélioration entre le premier et le deuxième trimestres, avec un indice de capitalisation passant de 77 à 79 % selon Mercer, ce ratio actif-engagements demeure inférieur au taux de 82 % calculé au 31 décembre 2007. Visuellement sur un graphique, il se situe au niveau mesuré au quatrième trimestre de 2005. Ce faisant, l'amélioration de la solvabilité qui s'est manifestée en 2006 et en 2007 a été effacée.«La solvabilité reste problématique. Avec des taux d'intérêt de long terme demeurant stables, l'impact est venu de l'actif, et des rendements nuls après six mois», a résumé Yvan Breton, responsable du Groupe de consultation en gestion de placements pour l'Est du Canada chez Mercer.
Le cabinet-conseil retient qu'un portefeuille équilibré type a dégagé un rendement négatif de 0,1 % après six mois en 2008. Les actions canadiennes ont pourtant bien fait, avec une poussée semestrielle de 6 %. Les titres à revenu fixe ont suivi, avec un rendement moyen de 2,2 % après six mois. Mais le mal est venu des placements étrangers. En dollars canadiens, les actions internationales et les actions américaines étaient en recul de 8,1 % et de 9,5 % respectivement. En monnaies locales, ces replis étaient de 15,3 % et de 11,9 %.
Dit autrement, la détérioration de la santé financière des caisses de retraite a été endiguée par la performance boursière du marché canadien. Une performance qui, on le sait, est faussée par le poids du secteur des ressources naturelles dans l'indice de référence. Après six mois en 2008, le secteur des mines et métaux est en hausse de 26 % et celui de l'énergie, de 24 %. À l'opposé, les industriels sont en hausse de 1,6 % après six mois, les télécommunications sont en recul de 10 %, les institutions financières de 11,6 %, les soins de la santé de 13 % et le secteur de la consommation, de 23,5 %.
Or, peu de portefeuilles vont consacrer jusqu'à 50 % de leur contenu au segment des ressources, un poids que l'on retrouve dans l'indice de référence. «Oui et non, nuance Yvan Breton. Les gestionnaires ont des incitatifs commerciaux faisant en sorte que la pondération de leur portefeuille n'est pas si différente de celle de l'indice de référence.» Ils vont se coller à l'indice avec une sur/sous-pondération de plus ou moins 5 %. Au-delà, le risque commercial ne vaut plus la peine, insiste le spécialiste de Mercer.
Chez Watson Wyatt, on a fait ressortir qu'une grande volatilité dans le taux de provisionnement des régimes de retraite au premier semestre de 2008 contrastait avec l'amélioration calculée en 2006 et 2007. L'indicateur mesuré par le cabinet de services-conseils est parti de 106 %, à la fin de 2007, pour toucher un creux à 103 et un sommet à 111, et terminer juin à 107 %. Cet indice s'appuie sur les principes comptables et s'inspire du taux d'intérêt sur les obligations d'entreprise, alors que les obligations du gouvernement du Canada servent de référence à Mercer. Cette différence étant, compte tenu du jeu des écarts et du taux de rendement accru des obligations cotées double A, Watson Wyatt obtient une amélioration du taux de provisionnement malgré un rendement de l'actif en définitive nul.
Le cabinet a pris soin de souligner, à larges traits, que «les écarts entre le rendement des obligations des entreprises et celui des obligations du gouvernement du Canada se sont considérablement accentués au cours des 12 derniers mois. Si ces écarts sans précédent rétrécissaient de façon à reprendre leurs niveaux habituels, les conséquences sur les taux de provisionnement des régimes de retraite canadiens seraient néfastes.»
Le modèle de Watson Wyatt retient également que l'absence de rendement a joué au niveau de l'actif des régimes et provoqué une détérioration de leur ratio de solvabilité, qui est redescendu à 89 % au 30 juin dernier. «Toutes autres choses étant égales, les cotisations pourraient augmenter, selon le comportement des marchés d'ici la fin de 2008», a renchéri le cabinet.
Cette volatilité garde bien vivante la remise en question qui secoue les régimes de retraite à prestations déterminées. Le spécialiste de Mercer, Yvan Breton, rappelle que le désaveu des employeurs demeure bien réel et que le mouvement de transformation des régimes existants en régimes à cotisations déterminées pour les nouveaux participants devient pratiquement la norme. Les premiers garantissent les prestations à la retraite alors que les seconds ont pour particularité d'offrir un taux de cotisation fixe mais de transférer le risque de placement, les aléas de rendement, au bénéficiaire.
Yvan Breton sourcille. Il reconnaît que pour un employé mobile, qui change d'emploi fréquemment, le régime à cotisations déterminées peut très bien convenir. Mais on demande aux bénéficiaires de ces régimes de faire le travail qu'un gestionnaire professionnel doté des outils et entouré des spécialistes essaie de faire tant bien que mal.
Claude Lamoureux, ex-président du Régime de retraite des enseignants de l'Ontario et conseiller spécial de l'Institut canadien des actuaires, a été plus loin en soutenant que si la présence d'un gestionnaire venait bonifier le rendement du portefeuille ne serait-ce que de 1 %, l'effet composé dans le temps pourrait se traduire par une augmentation de 20 à 25 % de la rente.
M. Lamoureux a pris son bâton de pèlerin le mois dernier pour se porter à la défense des régimes à prestations déterminées. Véritable espèce en voie de disparition, ces régimes touchaient à peine 34 % des Canadiens en 2003, contre 44 % en 1992. Dans le secteur privé, cette proportion n'est plus que de 20 %, a-t-il fait valoir.
Ce type de régime est généralement apprécié pour son pouvoir de rétention du personnel. Mais ces régimes se veulent plus rigides et plus coûteux à administrer. Les employeurs se braquent également devant ce qu'il estime être une asymétrie des risques, la responsabilité des déficits actuariels leur étant imputée. Dans l'environnement actuel de forte volatilité, de faible rendement et de pression démographique allant en s'intensifiant, on peut aisément comprendre qu'ils n'aient plus la cote.