Moi, un Noir ?

Kinshasa — Devant l'hôtel où j'habite durant quelques jours, un édifice locatif. Des fils parcourent la façade comme des serpents collés au mur. On se raccorde comme on peut au réseau électrique. Un comptoir d'achat de diamants, libanais sûrement. À l'entrée de l'hôtel, des vendeurs de cigarettes, des changeurs avec des briques de billets et quelques artistes qui vous font la première page de Tintin au Congo en proposant de remplacer le nom de Tintin par le vôtre ou celui d'un ami. J'ai commandé un Charles au Congo. Le tableau est déjà peint, il ne s'agit que d'ajouter le nom du héros choisi par le touriste.

Je rentre à l'hôtel et regarde la conclusion du sommet du G8 au Japon. Il n'existe pas de meilleur endroit pour observer un autre sommet inutile, une autre opération de relations publiques pour clientèle locale et télévision continue, qu'une capitale africaine comme Kinshasa. Je regarde tous ces Blancs qui parlent beaucoup et ne font rien, qui jouent aux grands chefs, aux grands patrons, aux «bwanas», et je me sens un peu africain. Je me dis, c'est la même chose ici. Les chefs parlent beaucoup, mais ils ne font rien. Je pense au silence de l'Afrique sur Mugabe.

Premier rappel qui n'est pas anodin. Le budget propre de la République démocratique du Congo est de 260 millions de dollars, les reste vient de l'aide internationale. J'imagine que le budget du sommet du G8 (ou je l'ai lu) fait dans les 60 millions? Pour trois jours et pour rien, seulement pour des photos et des communiqués de presse. Vu d'ici, les gesticulations et les communiqués semblent encore plus ridicules, mais on comprend pourquoi on voit les «Grands Huit» à la télé. Ce sont des chefs et les chefs passent à la télé.

Vu d'ici, on les trouve encore plus drôles ou plus tristes et on comprend pourquoi les Africains ont plutôt tendance à penser que, sur Mugabe, les Occidentaux se vengent de leur propre échec et de leurs fausses promesses.

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Personne n'est dupe de l'invitation dans le Saint des Saints des riches de quelques chefs d'État africains. On est habitué ici à ce genre de pratique hypocrite qui a pour fonction de ne pas perdre la face. Vu d'ici, on a l'impression de reconnaître une culture du mensonge qui est familière.

Il y a trois ans, au sommet du G8 en Grande-Bretagne, les chefs blancs promettaient que l'Afrique constituait la nouvelle priorité de l'Occident. D'ici 2010 (cinq ans plus tard), l'aide au développement atteindrait 50 milliards par année. Tony Blair avait déposé son sourire adolescent dans la corbeille comme gage de sincérité et avec lui Paul Martin, Jacques Chirac, un premier ministre japonais qui n'est plus là. C'est une grande qualité de la démocratie que de permettre à des dirigeants de s'engager tout en sachant qu'ils ne seront pas présents pour remplir leurs promesses. Ici, on sait au moins que toutes les promesses sont des mensonges, comme si gouvernements autoritaires ou dictatures étaient plus prévisibles.

Parenthèse. L'Afrique est vraiment une priorité pour Tony Blair. Il vient d'accepter un poste de conseiller auprès du président Kagamé du Rwanda. Ici, dans ce pays qui a été en partie ravagé et disloqué par les troupes du président Kagamé, on se demande à juste titre que signifie le mot «priorité» pour un chef du G8.

Mais revenons en 2005, au moment où l'Afrique est l'objet de toutes les attentions de la part du G8.

La RDC sort de dix ans de guerre qui ont fait entre deux et cinq millions de morts, des millions de déplacés. Tous les diamants se sont envolés clandestinement, les lingots d'or aussi de même que le coltan qui fait fonctionner vos Play Station. Tout cela passe par le Rwanda ou l'Ouganda. Le pays est morcelé, découpé en baronnies dont profitent les minières internationales, parmi lesquelles plusieurs canadiennes. On attend cet argent nouveau, cette respiration artificielle qu'annonce le G8. Mais rien ne vient. En fait, le Canada constitue un bel exemple: l'aide au développement diminue. On se demande alors ici si les grandes démocraties peuvent donner des leçons de gouvernance alors que, toutes riches qu'elles soient, elles ne peuvent tenir leurs promesses. Au poker menteur, ce sont les Occidentaux qui perdent ici.

Et on regarde la télé, un peu pour rire de tous ces mots et de toutes ces paroles, comme ici on écoute les longs discours pour se moquer des mots et des paroles des politiciens locaux.

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Au G8, la Chine était invitée dans le cadre de la participation des pays émergents. Réflexion personnelle: comment l'Italie incapable de ramasser les ordures de Naples peut-elle faire partie du G8 et pas la Chine? Réflexion locale: pourquoi voulez-vous mettre Mugabe en prison alors que Berlusconi est au G8? C'est une bonne question qui demande s'il existe deux catégories de crimes, ceux des Blancs et ceux des Noirs.

Mais revenons aux Chinois. Ils sont de petits invités au G8, mais autour de la piscine de l'hôtel (j'aime bien les piscines), ils sont là. Et pas en tant que figurants comme au Japon. Un magazine d'affaires de Kinshasa titre: «La République populaire de Chine fait tout à grande échelle».

La Chine remplit ici les promesses du G8 à la place du G8 avec un programme d'aide de 8,5 milliards et des prêts préférentiels.

Durant quelques minutes, on a espéré ici que ces Blancs puissants puissent trouver des solutions pour organiser leur propre capitalisme et lutter contre la hausse des prix du pétrole et des aliments, mais en lisant le communiqué final du G8, on a conclu que c'était le G zéro. Rien sur le pétrole, rien sur les aliments. En fait, c'est un G africain. Des grands chefs parlent, boivent et mangent bien. Ils parlent encore devant la télévision. Finalement, se dit-on ici, les chefs noirs et les chefs blancs, c'est pareil. Ils parlent et ne font rien. C'est Harper qui serait surpris d'entendre une telle comparaison. Moi, un Noir?

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Collaborateur du Devoir

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