La petite chronique - Façons d'être seul
Les romanciers ont une nette prédilection pour les personnages doués pour le monologue. S'ils créent volontiers des personnages, ils ne répugnent pas à privilégier ceux d'entre eux qui s'analysent et pour qui le soliloque tient lieu d'expression.
Moi qui ai servi le roi d'Angleterre de Bohumil Hrabal raconte non sans humour l'ascension et la déchéance d'un garçon de café devenu richissime propriétaire d'un hôtel. On suit avec étonnement et ravissement les tribulations du héros à travers les méandres politiques de son pays. D'abord réduit à la pauvreté la plus extrême, ce dernier, grâce à la complicité de l'occupant allemand et à sa propre couardise, parvient à gravir les échelons de la réussite sociale. Seule l'arrivée en 1948 de la Révolution communiste en Tchécoslovaquie réussira à triompher de son ambition. Il se retrouvera dans un camp de concentration pour millionnaires privés de leurs prérogatives. Il finit au reste par choisir d'imiter en quelque sorte le Candide de Voltaire dans une quelconque communauté rurale.L'auteur, contemporain de Kundera, pratique comme lui un humour décapant. Le lecteur ne tique pas à la plus invraisemblable des extravagances du roman, tellement l'écriture est serrée malgré les outrances du baroque et les ridicules prônés par les régimes totalitaires qu'il faut bien démasquer avec l'outrance qui leur a permis de s'imposer. Qu'il nous soit permis de prévenir le lecteur éventuel: le héros n'a jamais servi le roi d'Angleterre. À peine a-t-il pu frayer avec le Négus!
Si Hrabal fait appel à la truculence, Georges Duhamel, lui, a un ton plus rentré. On ne lit plus guère cet auteur qui en son temps fut fort populaire dans le monde francophone. On réédite en un fort volume Vie et aventures de Salavin. Aux cinq romans qui, à partir de 1920, devaient narrer les péripéties de la vie du héros, Confession de minuit, Deux hommes, Journal de Salavin, Le Club des Lyonnais, Tel qu'en lui-même, on a ajouté Nouvelle rencontre de Salavin, bref récit autour de la destinée du héros.
Le terme de héros convient-il à Salavin? On peut en douter. Si Antoine Duhamel, fils de l'auteur, rappelle avec raison que Salavin préfigure L'Étranger de Camus, il faut dire tout de suite qu'il n'en a pas la modernité. Salavin perd son poste d'employé de bureau parce qu'il n'a pu résister au désir de toucher à l'oreille de son patron. Cet événement placé au début du cycle romanesque ne débouche pas sur un univers de fantaisie. Louis Salavin, qui n'a pas trente ans, vit pauvrement avec sa mère. Il se mariera sans passion avec une voisine, amie de cette dernière. Ils auront un enfant qui mourra à six ans. De l'amour qu'il a pour sa compagne, nous ne saurons rien. Il est plutôt question du sentiment de médiocrité qui est celui du personnage, de son incapacité à pratiquer l'amitié. Attiré par l'échec sous toutes ses formes, il n'en finira pas moins dans Tel qu'en lui-même par se laisser aller à l'altruisme.
Presque un siècle s'est écoulé depuis l'écriture de ces romans. Impossible de venir à bout de la lecture de ces évocations linéaires d'un univers terne et voué à l'échec sans ressentir une certaine impression de déjà vu.
Vaut-il la peine de s'immerger en 2008 dans un tel monde? Il me semble que oui. Surtout si on sait qu'il y a des espaces de création qui, à la manière de Hrabal, par exemple, existent tout aussi bien. C'est au fond que Salavin, malgré ses limites, a la fascination de ses questionnements. En somme, il ne serait pas doué pour le bonheur ni pour l'émerveillement. Il suffit probablement de tenir compte de ce manque pour le trouver attachant.
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Moi qui ai servi le roi d'Angleterre
Sohumil Hrabal
Robert Laffont, coll. «Pavillons», Poche
Paris, 2008, 287 pages
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Vie et aventures de Salavin
Georges Duhamel
Omnibus
Paris, 2008, 807 pages
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Collaborateur du Devoir