Le ministre et sa bonne tête

Yves Bolduc, le nouveau ministre de la Santé, a une bonne tête. Il a l'air d'un bon vivant. Les commentateurs ont dit que Philippe Couillard laissait des «souliers difficiles à remplir», laissant entendre, j'imagine, qu'il serait difficile de lui trouver un remplaçant à sa hauteur. On sait tous que le bon docteur Couillard est l'un de nos plus brillants spécialistes, une intelligence rare, ce qu'il ne s'est pas privé de nous confirmer lui-même chaque fois qu'il en a eu l'occasion.

Après cinq années de bons et loyaux services, le Dr Couillard est allé relever d'autres défis (c'est la formule classique) et malgré sa formidable connaissance du secteur sur lequel il a régné, il est parti à la pêche. Pêcher dans les eaux sales de nos lacs ces temps-ci est un défi en soi, nul ne le conteste. À moins qu'il n'ait réussi à en trouver un sans algues bleues, ce qui serait un tour de force remarquable.

Il avait été accueilli en politique comme le sauveur de notre système de santé. Mais comme les meilleurs finissent par être remplaçables, avec son départ, il suffisait d'en trouver un autre. Ce que le premier ministre a fait en deux coups de fourchette. Pour succéder au Dr Couillard, il fallait quelqu'un de déterminé qui pouvait parler la langue «docteur savant» sans avoir besoin de retourner à l'école. Le Dr Yves Bolduc, candidat libéral défait à la dernière élection, est arrivé. Je ne sais pas s'il se sent perdu dans les souliers du Dr Couillard, s'il les trouve trop grands pour lui, mais pour le chapeau, visiblement, il n'y aura aucun problème. Le chapeau de celui qu'il remplace va lui faire. Grosseur de tête pour grosseur de tête, il n'y aura pas de problème.

Personnellement (je ne vous oblige pas à penser comme moi), j'aurais souhaité quelqu'un qui soit élu d'abord. C'est ma vieille déformation démocratique qui me fait réagir ainsi. Que voulez-vous, je pense qu'on n'a pas le droit de congédier qui que ce soit comme ministre tant qu'on n'a pas été élu soi-même. Je suis de la vieille école.

J'aurais souhaité également quelqu'un avec une certaine discrétion et un peu d'humilité mêlée à une grande connaissance des problèmes du milieu de la santé, cela va de soi. J'aurais préféré quelqu'un qui met des gants blancs, même s'ils sont en caoutchouc, pour aborder par exemple la question du CHUM, pour bien la reprendre là où le Dr Couillard l'a laissée.

Le bourbier de la construction du méga-hôpital fait que l'enfantement est douloureux. Je n'avais surtout pas envie d'entendre qui que ce soit m'expliquer que j'allais être traitée comme une Toyota sur la chaîne de montage lors de mon prochain séjour à l'hôpital. Je n'ai rien contre Toyota, mais l'image des corps alignés sur un tapis roulant me déplaît. J'aurais préféré un ministre de la Santé qui me dise qu'il allait s'assurer que je serais traitée comme un être humain tout simplement, avec un peu de respect et une touche de dignité, comme on doit traiter un être humain. Je me fous de la Toyota.

Notre part dans la santé et ailleurs

On donne de plus en plus carte blanche à nos gouvernements, aussi bien à Ottawa qu'à Québec. Le public se désintéresse de plus en plus de l'administration publique. Désabusés par les scandales, le spectacle perpétuel auquel se livrent les politiciens, les mensonges qu'on nous sert à toutes les sauces, les citoyens ont tout abandonné. Ils justifient leur inaction en disant que ça ne sert à rien, que quoiqu'ils fassent, ils se sentent impuissants et que tous leurs efforts ne servent à rien. Ils finissent par se dire que la vie n'est pas si longue après tout et qu'ils ont bien le droit d'en profiter un peu. Avec le résultat que, parce qu'ils ne participent plus, ceux qui sont au pouvoir peuvent écrire la pièce dans laquelle ils veulent jouer tous les premiers rôles.

Si nous accordions à la politique la moitié seulement de l'intérêt que nous avons manifesté pour le hockey l'hiver dernier, les choses changeraient au Québec. Mais nous n'en sommes pas là.

Thérèse Casgrain (mais qui se souvient de cette grande dame?) disait souvent que lorsque les citoyens honnêtes ne s'occupent pas de politique, ce sont les citoyens malhonnêtes qui en profitent. Nous devrions pourtant avoir eu notre leçon avec le scandale des commandites ou l'affaire Couillard-Bernier, qui présente de possibles ramifications dans le crime organisé.

Le Dr Yves Bolduc a du pain sur la planche. Il est entré dans le dossier complexe qu'est le système public de santé au Québec comme un éléphant dans une boutique de porcelaine. Son premier geste comme ministre a été de congédier le directeur général du CHUM, le Dr Denis Roy (un autre docteur!). Après un tel coup d'éclat, il dispose d'une toute petite marge de manoeuvre, à peine de quoi se tourner sur lui-même. Il doit en plus se faire élire car s'il est défait une deuxième fois, il pourra rejoindre le Dr Couillard à la pêche. Ensemble, ils pourront parler des difficultés inhérentes à la fonction de ministre de la Santé et des joies qu'on peut trouver à diriger Toyota.

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