Perspectives - Lourde sentence
Certes, pour les trop nombreuses victimes de Norbourg, la sentence prononcée contre Vincent Lacroix ne sera jamais suffisamment lourde. Cette reconnaissance étant, il reste que, pour les annales judiciaires, la peine, même réduite, que doit purger le gestionnaire déchu demeure la plus forte jamais prononcée au Canada pour un délit économique au niveau pénal.
La sentence du juge Claude Leblond a été rendue le 28 janvier sous les applaudissements venant d'un auditoire composé très majoritairement de victimes de Norbourg. Une peine de prison de 12 ans moins un jour, au pénal, pour une contravention à la Loi sur les valeurs mobilières devenait une première, saluée depuis par tous. Mardi, en appel, le juge André Vincent, de la Cour supérieure, a réduit cette peine d'emprisonnement du tiers pour la ramener à huit ans et demi, sous les huées généralisées.Pourtant, la décision du juge Vincent n'enlève rien à la jurisprudence créée par le cas Lacroix. La réduction de peine traduit, tout au plus, une différence dans le regroupement des chefs d'accusation. Mais le droit de prononcer des peines consécutives a été retenu, et reconnu. Sinon, ç'aurait été cinq ans (moins un jour), au maximum.
Nous sommes peut-être loin de ce qui se fait ailleurs. Mais dans une perspective canadienne, avant ce Vincent Lacroix servi en exemple, il était de tradition au pénal que les sentences soient plutôt symboliques. Au lendemain du verdict de culpabilité rendu en décembre, les experts s'inspiraient de cette tradition pour prédire que, malgré le renforcement des peines pour crimes en contravention de la Loi sur les valeurs mobilières, il serait étonnant de voir Vincent Lacroix être condamné à plus de deux ans d'emprisonnement. Le juge Leblond avait lui-même insisté sur le fait que les juges ne décident pas en regard de la clameur populaire. Qu'ils étaient tenus à une discrétion judiciaire, ce qui les amenait à trancher en fonction des règles de droit et non en fonction des perceptions populaires.
Ce pouvoir discrétionnaire vaut également pour le cumul des peines. En théorie, les nouveaux paramètres de la loi permettent l'addition des peines, mais en pratique il revient au juge de déclarer s'il y a cumul ou si les peines doivent être purgées en concomitance. Répétons-le, avec le cas Lacroix, ce cumul est désormais reconnu deux fois plutôt qu'une.
Avant ces renforcements, les infractions à la Loi sur les valeurs mobilières étaient passibles d'une amende maximale de deux millions de dollars, accompagnée d'une interdiction d'exercer le rôle d'administrateur pendant un nombre déterminé d'années.
Aurait-il été préférable pour l'Autorité des marchés financiers d'attendre son tour et d'accorder préséance au criminel? La peine maximale atteint généralement les 14 ans. Mais il est également de tradition, au criminel, d'accueillir les crimes de nature économique avec condescendance et de diluer la gravité des offenses en valeurs mobilières parce que ne faisant généralement pas de victime ou parce que le préjudice causé n'est que financier. De plus, au criminel, la preuve peut être plus difficile à établir et le dossier requiert plus de temps. D'autant qu'on entre dans l'univers du hors de tout doute raisonnable et des intentions alors qu'au pénal, la cour est appelée à déterminer s'il y a contravention à la Loi et à statuer sur la nature de l'offense.
Donc, vue sous cet angle, la sentence, même réduite, retenue pour Vincent Lacroix se veut dissuasive et élève au Canada le crime économique au rang des offenses graves. Mais il est vrai qu'ailleurs...
Rappelons qu'aux États-Unis, Conrad Black a reçu une sentence de six ans et demi pour une offense bien moins importante, la fraude retenue de 6,1 millions prenant la forme de commissions de vente reçues illégalement. Et que dire de Martha Stewart, qui a pris le chemin de sa cellule pour y purger une peine de cinq mois de prison pour obstruction à la justice dans un cas présumé de délit d'initié qui n'aura fait aucune victime, qui lui aurait permis d'éviter une perte de 51 000 $US?
Mais il est vrai, aussi, que l'ex-p.-d.g. de Tyco, Dennis Kozlowsky, a été condamné à 25 ans de prison. Il pourra réclamer une remise en liberté conditionnelle après huit ans et quatre mois. Lui et l'ex-directeur financier de l'entreprise ont également été condamnés à verser un total de 134 millions $US en dédommagements et en restitutions à Tyco. Ils avaient été accusés d'avoir détourné jusqu'à 600 millions des caisses de l'entreprise entre 1999 et 2001, dont une bonne part à des fins personnelles.
Pour sa part, l'ancien p.-d.g. de WorldCom, Bernard Ebbers (63 ans), a été condamné à 25 ans de prison pour conspiration et fausses déclarations financières dans ce qui est devenu la plus grosse faillite des États-Unis. Quelques semaines auparavant, le fondateur du câblo-opérateur Adelphia, John Rigas (âgé de 80 ans), était condamné à 15 ans de prison.
Ce sont généralement sept ans de prison en France pour criminalité financière et 15 ans en Suisse pour «escroquerie par métier». En Chine, on se rappelle l'ancien directeur de la Bank of China, qui a été condamné à mort pour corruption, une condamnation assortie d'un sursis à exécution de deux ans, ce qui équivaut à un emprisonnement à vie.