L'hypocrisie verte

Pour la deuxième année d'affilée, le G8 conclut ses discussions sur les changements climatiques en camouflant son manque de leadership sous des prétentions de progrès. Les dirigeants réunis au Japon se sont simplement engagés à «chercher à partager» leur «vision» avec les pays qui participeront aux prochains pourparlers onusiens et «d'envisager et d'adopter lors de [ces] négociations, un objectif de réduction des émissions mondiales de gaz à effet de serre d'au moins 50 % d'ici 2050».

Le premier ministre Stephen Harper était ravi, disant que c'est déjà mieux que l'an dernier puisque les États-Unis et la Russie se sont ralliés à des objectifs fermes à long terme. Comme avancée, on a déjà vu mieux. Et pour le président américain George W. Bush, ça ne coûte rien. Il cédera le pouvoir sous peu à un successeur plus ambitieux que lui.

Au bout du compte, on coupe les cheveux en quatre pour sauver les apparences et le G8 se retrouve toujours sans cibles à moyen terme et avec un objectif à long terme qui ne veut rien dire. On dit vouloir réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) de moitié d'ici 2050, mais sans mentionner d'année de référence. Est-ce que ce sera 50 % de réduction par rapport au niveau d'émissions de 1990, comme le prévoit le protocole de Kyoto, ou 2006, comme le préconise le gouvernement Harper?

L'autre élément dont se gausse Stephen Harper est le fait que «tous les pays ont fermement reconnu que, pour réaliser ces objectifs, même à long terme, nous devons obtenir la participation obligatoire de toutes les grandes économies, de tous les grands pays émetteurs». Ce qui veut dire que la Chine et l'Inde, en particulier, devront être liées par des objectifs contraignants.

Il est faux pourtant de laisser croire, comme le font Stephen Harper et consorts, que la Chine et l'Inde ne veulent rien faire. Ces pays veulent agir, mais d'une façon qui tienne compte de leur situation particulière et de celle des pays en développement.

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Ce n'est pas sans raison que le protocole de Kyoto impose des cibles absolues aux pays riches et épargne, jusqu'en 2012, les pays en développement et émergents. Et ce n'est pas pour rien non plus que tous les calculs du protocole sont établis en fonction des émissions de GES par habitant.

La simple évocation des statistiques aide à comprendre la logique derrière ces deux choix. Un Indien émet, en moyenne, 1,2 tonne de dioxyde de carbone (CO2) par année. Un Chinois, 3,8. Un Américain, 20,6 et un Canadien, 20. Qui, dans ce contexte, est le grand émetteur? Si on demandait aux Chinois et aux Indiens de réduire de moitié leurs émissions d'ici 2050, on ne ferait qu'épargner le confort des Nord-Américains gourmands d'énergie au détriment du développement de ces pays et de la lutte contre la pauvreté de larges segments de leur population.

C'est vrai qu'en chiffres absolus, ces pays produisent beaucoup de GES, mais les États-Unis remportent la palme avec seulement 4,5 % de la population mondiale. Les données des Nations unies pour 2004 montrent qu'avec près de 300 millions d'habitants, nos voisins polluent à peine moins (20,9 % des émissions mondiales totales) que 1,3 milliard de Chinois (17,3 % du total) et un milliard d'Indiens (4,6 %) réunis. Le Canada pollue évidemment moins, mais il réussit quand même, avec seulement 36 millions d'habitants ou 0,5 % de la population planétaire, à émettre 2,2 % des émissions totales.

Si on s'arrêtait aux émissions totales d'un pays sans examiner la production par habitant, on finirait par punir les pays populeux au profit des petits pays riches. Or, une étude du Centre canadien de politique alternative, rendue publique il y a deux semaines, montrait que plus une personne est riche, plus son empreinte environnementale est importante. Et, ce qui est vrai sur le plan individuel l'est à l'échelle des pays.

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Pour aider les pays en développement à contenir leurs émissions sans renoncer à leur croissance, le protocole de Kyoto a prévu des mécanismes pour favoriser les investissements privés et les transferts technologiques en provenance des pays riches. Mais le Canada résiste à soutenir les efforts en ce sens. À la veille du sommet, il refusait toujours de s'engager à contribuer à deux fonds établis récemment par la Banque mondiale et destinés à aider les pays en développement et émergents à faire face aux changements climatiques.

Si le gouvernement Harper ne veut pas dépenser les fonds publics, il pourrait au moins encourager les entreprises canadiennes à le faire. Mais non, il leur met des bâtons dans les roues. Selon les mécanismes prévus dans le protocole, une entreprise peut investir dans les pays en développement pour y implanter des technologies vertes reconnues. En échange, l'entreprise obtient des crédits qu'elle peut utiliser chez elle pour atténuer le choc de l'adaptation ou les vendre pour rentabiliser les efforts déjà faits.

Pour en profiter, les entreprises doivent cependant être soumises à un plafond d'émissions qui sert à mesurer leurs progrès inscrits dans un registre national. Mais voilà, le Canada n'a pas encore de registre digne de ce nom parce que le gouvernement conservateur ne veut pas imposer de cibles absolues de réduction à court terme ni utiliser 1990 comme année de référence. Désireux de ménager l'industrie pétrolière, il s'en tient à des cibles par unité de production. Ce système signifie que les émissions par baril de pétrole, par exemple, peuvent diminuer mais les émissions totales, elles, peuvent croître si la production augmente.

Dans son dernier rapport annuel, le Programme des Nations unies pour le développement répétait pour la énième fois que les plus pauvres payaient déjà un prix élevé pour les changements climatiques. Il y a urgence, disait le PNUD, mais ce n'est pas au G8 qu'on l'a ressentie. Espérons que la conférence onusienne sur l'après-Kyoto, qui doit avoir lieu l'an prochain à Copenhague, aura raison de la paralysie et de l'hypocrisie.

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mcornellier@ledevoir.com

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