Un pas vers la création d'une corporation des biologistes

À son dernier congrès, les 8 et 9 mars derniers, le Parti libéral du Québec a pris une décision qui pourrait constituer une étape capitale en matière de politiques de protection environnementale au Québec.

Il a en effet adopté une résolution en vue d'assurer un statut professionnel aux biologistes et aux microbiologistes et d'encadrer leur activité et la protection du public au moyen d'une corporation. Cette prise de position de la base du PLQ devient un engagement susceptible de se retrouver dans le programme officiel du parti, ce qui constituerait un pas de plus, à moins que le problème ne soit réglé avant les prochaines élections.

Évidemment, on a déjà vu des promesses et des engagements de la plateforme électorale des libéraux demeurer lettre morte, comme cet engagement de financer le Centre québécois du droit de l'environnement (CQDE), actuellement dans le coma depuis près d'un an en l'absence de toute aide gouvernementale.

L'inexistence de statut professionnel pour les biologistes fait en sorte que leurs analyses et leurs verdicts sont souvent triturés par des patrons ou des membres d'autres corporations qui ne veulent pas changer leurs manières de faire, modifier leurs politiques ou revoir la conception de leurs projets. C'est fort commode: l'ingénieur d'un projet n'a qu'à dire qu'en ajoutant tel ou tel élément, il règle le problème soulevé par le biologiste dans son rapport, dont il va parfois jusqu'à modifier les conclusions sous prétexte de les nuancer.

On se retrouve au Québec avec des verdicts de nos médecins-biologistes dont on balaie ou modifie les prescriptions destinées à protéger les écosystèmes. Personne ne voudrait d'un tel médecin pour gérer sa santé, mais c'est tout ce qu'on s'offre collectivement comme protection en environnement depuis près de 30 ans, alors que de jeunes biologistes avaient lancé ce débat. Or l'Office des professions du Québec avait recommandé la création d'une corporation professionnelle des biologistes en 1990, quand cet organisme était présidé par Thomas Mulcair. Mais de puissantes forces occultes ont bloqué le projet afin de conserver leurs privilèges et leur marge de manoeuvre. Désormais toutefois, la majorité des autres professions ont appuyé ce projet, y compris les forestiers, m'ont affirmé ceux-ci, contrairement à ce que nous écrivions ici en novembre dernier.

Un biologiste en chef

La Colombie-Britannique s'est dotée, à l'instar du Québec, d'un forestier en chef dont le mandat est débattu dans un récent numéro du magazine publié par l'Association of British Columbia Forest Professionals.

Comme ici, ce chief forester détermine le volume de prélèvement annuel à partir des inventaires, des taux de croissance et de récolte, voire du niveau de pertes naturelles causées par les épidémies et les feux de forêt. Mais là-bas comme ici, la protection des écosystèmes ne fait pas partie intégrante du bilan. On n'a qu'à se rappeler que le dernier bilan de notre forestier en chef n'intègre pas les 8 % d'aires protégées que Québec dit vouloir instituer en forêt. Les écologistes ont reproché au forestier d'avoir menacé de représailles les exploitants qui ne récoltent pas les grosses tiges dans les bandes riveraines qui protègent nos cours d'eau. Pis encore, nous ont expliqué des forestiers, si quelqu'un, par souci de l'environnement, coupe moins d'arbres dans des secteurs fragiles, on le menace de donner ce bois à d'autres, ce qui le contraint à piller ou à détruire afin de ne pas enrichir ses concurrents.

C'est pourquoi on a lancé, dans la revue des professionnels de la forêt de la Colombie-Britannique, l'idée qu'il faudrait aussi un chief biologist, qui délimiterait les aires sensibles et les besoins des espèces et qui agirait au besoin pour modifier les plans de coupe si, une fois sur le terrain, on découvrait des écosystèmes fragiles que les planificateurs n'auraient pas décelés.

L'idée est intéressante car elle procède de ce constat selon lequel les élus politiques n'assument plus très souvent leur mandat avec une vision à long terme. Certains auteurs proposent de neutraliser par une sorte de «dictature verte» la vision à court terme de ces députés et ministres, rendus myopes par leur trop grande proximité avec les forces économiques et celles de la petite politique. Une certaine droite voit d'ailleurs dans la moindre affirmation de l'intérêt général sous forme de norme ou de directive environnementale rien de moins que de l'«écofascisme», une sorte de pollen vert qui déclencherait des crises d'urticaire chez les individus dotés d'un ADN néolibéral.

Un problème bien circonscrit

Ceux qui anticipent un rejet de la démocratie par le mouvement environnemental en raison de sa courte vue électoraliste — qu'ils découvrent soudainement — devraient relire Tocqueville, qui avait décelé et débattu de ce problème en 1835. Ce débat a mené à la création de deux institutions aux États-Unis, orientées non pas sur un rejet mais plutôt sur un renforcement de la démocratie, ce que souhaite ouvertement la quasi-totalité du milieu environnemental, exception faite de quelques théoriciens marginaux.

La première de ces solutions est la démocratie directe, qui s'incarne ici au Québec dans une institution comme le Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE). L'idée de base consiste à obliger les technocrates du secteur privé et de l'État, qui s'entendent comme larrons en foire, à répondre de leurs projets devant la population. Le verdict final, recommandation ou décision, est le fait d'un organisme indépendant. Du moins en principe.

La deuxième solution consiste à dépolitiser certains volets des politiques publiques en les soustrayant aux politiciens, jugés trop vulnérables aux lobbys. Dans ce modèle, l'État définit les objectifs à atteindre et laisse à une institution indépendante le soin de déterminer les moyens et les échéances en lui imposant une obligation de résultat, issue de la volonté démocratiquement exprimée de faire avancer les choses. La création de l'Environmental Protection Agency (EPA) obéissait à cette logique. Les lois états-uniennes sur l'eau et l'air l'obligent ainsi à instaurer des normes anti-pollution, ajustées aux cinq ans, qui doivent rejoindre le dernier seuil de dépollution techniquement réalisable, ce qu'on appelle la «best available technology».

Mais quand les agents économiques ont découvert les contraintes de cette logique dépolitisée et la perte d'emprise sur les politiques qui leur était imposée, ils ont contourné le système en obtenant des nominations partisanes à la tête de ces organismes. C'est ainsi que l'EPA, créée pour instituer des politiques environnementales sur des bases scientifiques et en fonction des seuls besoins sociaux, suit maintenant les diktats de la Maison-Blanche. On a retrouvé à sa haute direction d'anciens avocats de Monsanto, des lobbyistes du secteur pétrolier et minier, etc. Ici au Québec, on a vu la même chose au BAPE, qui a souvent été présidé par des personnes proches du pouvoir ou vulnérables à plusieurs égards, ce qui est contraire aux exigences d'indépendance.

En réalité, les gouvernements qui ont choisi de dépolitiser certains secteurs en créant des institutions plus indépendantes aiment bien les contrôler par derrière avec des alliés sûrs, dont le travail est d'autant plus sournois qu'il porte le masque de l'indépendance institutionnelle.

Il existe un moyen, connu mais redouté et systématiquement évité, pour garantir cette indépendance: nommer les responsables de ces organisations par accord unanime des partis politiques représentés au Parlement ou à l'Assemblée nationale. On le fait déjà, par exemple, pour nommer le président de la Commission d'accès à l'information. Pour l'instant, la plupart des nominations à ces postes stratégiques relèvent de ministres et surtout du premier ministre, ce qui n'offre pas une véritable garantie d'indépendance quand ces organismes sont appelés à statuer sur des projets proposés ou appuyés par le gouvernement ou par des amis intéressés.

Avec sa Commission de l'environnement, l'Europe a créé un autre modèle de gestion qui commande l'atteinte de résultats en neutralisant jusqu'à un certain point la courte vue des politiques nationales. J'en vois déjà qui y voient une recrudescence du fascisme sur le Vieux Continent, mais en vert cette fois-ci, du vert qui habillait les militaires allemands de la dernière guerre mondiale, peut-être?

- Lecture: Forêts et société au Canada - Ressources durables ou horreur boréale?, par Éric Glon, Presses universitaires du Septentrion, 221 pages. Le regard d'un chercheur de l'Université de Lille, qui analyse la mutation des modes de gestion forestière d'ici en fonction de la puissante dynamique sociale qui, depuis 20 ans, a forcé leur évolution et la paralyse néanmoins par l'expression des intérêts économiques. Intéressant de se voir à travers le regard d'un voisin rigoureux.

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