De nouvelles menaces planent sur les poissons

À quelques semaines du début de la saison de la pêche, le Programme des Nations unies pour l’environnement avertit dans un rapport qu’«au moins les trois quarts des principales zones de pêche du monde pourraient souffrir de la modification de la
Photo: Agence Reuters À quelques semaines du début de la saison de la pêche, le Programme des Nations unies pour l’environnement avertit dans un rapport qu’«au moins les trois quarts des principales zones de pêche du monde pourraient souffrir de la modification de la

Avec la neige qui nous tombe dessus, on a peine à imaginer que dans environ un mois et demi, soit le 27 avril, on pourra de nouveau faire mouche dans nos lacs avec nos cannes à pêche!

Toutefois, d'une année à l'autre, je vois venir cette saison avec un peu plus d'appréhension, car je ne peux pas me cacher le fait que la vie aquatique reprend de moins en moins son cours ancien dans la plupart de nos cours d'eau, où des espèces moins nobles et plus résistantes à la pollution ont pris le dessus... quand ces cours d'eau sont encore viables pour des organismes vivants! On ne peut plus ne pas s'interroger sur la manière dont nous récoltons la faune.

Ces questions se posent déjà depuis des années aux saumoniers, qui remettent de plus en plus systématiquement leurs prises à l'eau afin de ne pas épuiser le cheptel naturel de géniteurs.

Deux études récentes nous interpellent davantage sur le sort des poissons d'eau douce et d'eau salée.

La première a été publiée il y a 15 jours par le Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE). Elle met en relief une nouvelle menace, potentiellement catastrophique pour les stocks de poissons marins, qui pourrait résulter des changements climatiques.

En effet, selon cette étude, «au moins les trois quarts des principales zones de pêche du monde pourraient souffrir de la modification de la circulation due au ralentissement et à l'arrêt des systèmes naturels de pompage dans les océans».

Ces pompes, qu'on désigne généralement sous le nom de courants thermo-halins, sont actionnées par la rencontre des masses d'eaux très froides des régions nordiques avec celles, plus chaudes, en provenance du sud. Deux facteurs se conjuguent pour faire plonger ces eaux arctiques entre l'Europe et le Groenland. D'abord, l'eau froide a tendance à descendre vers le fond. Ensuite, comme la transformation de l'eau en glace a évacué l'essentiel du sel qu'elle contenait, ce sel a accru la salinité, donc le poids moléculaire, de l'eau, accélérant d'autant le mouvement de plongée des eaux froides.

Le courant marin créé au fond des océans par cette eau froide plus salée attire vers le nord mais en surface les eaux plus chaudes des mers du sud, ce qui explique que Paris est plus chaud en hiver que Sept-Îles, pourtant située sur la même latitude. Ce gigantesque courant marin actionne un mouvement des eaux de l'Atlantique, une «courroie océanique» qui contourne par le fond l'Afrique et le Pacifique avant de revenir en surface par les côtes américaines vers le nord. Or ces «pompes», qui auraient commencé à ralentir avec le réchauffement des mers du nord, charrient d'énormes quantités de nourriture pour les poissons. Ces courants marins ont aussi pour fonction de nettoyer les déchets et la pollution des milieux de vie des grands bancs de poissons. Ce «rinçage-lavage» des fonds marins est déterminant, note le rapport, pour la qualité de l'eau et les cycles alimentaires en eaux profondes dans 75 % des grandes zones de pêche.

Deux autres impacts supplémentaires sont prévus si les mers continuent de se réchauffer au rythme actuel. D'une part, on estime que 80 % des récifs coralliens du monde, qui constituent une défense naturelle contre la mer ainsi qu'une énorme réserve alimentaire pour les poissons, sont menacés de mort par blanchiment au cours des prochaines décennies. Quelques degrés additionnels suffisent pour que le phénomène s'enclenche.

D'autre part, on oublie que la capacité des mers à absorber le gaz carbonique (CO2) de nos voitures et de nos industries, si elle réduit à court terme la hausse des concentrations atmosphériques, accentue cependant l'acidité des mers et des océans.

Dans les années 70 et 80, le fléau des pluies acides faisait craindre pour l'avenir de nos lacs et de nos forêts. Mais aujourd'hui, cette acidification risque de réduire les réserves en carbonates de calcium présentes dans les mers, que plusieurs organismes vivants utilisent pour former leur coquille. Or personne ne croyait dans les années 70-80 qu'il serait un jour possible d'acidifier les océans, compte tenu de leur taille, pas plus qu'on croyait possible d'épuiser un jour les pêcheries maritimes, les forêts ou les réserves d'eau potable! À l'époque, le PIB s'envolait et l'Occident nageait dans le confort pendant que les poissons nageaient dans des eaux de moins en moins compatibles avec la vie.

Le rapport de l'ONU, intitulé In Dead Water («Eaux mortes»), cartographie les zones côtières les plus susceptibles de voir leurs pêcheries menacées par un arrêt des courants marins. L'impact social de ce phénomène sera d'autant plus déterminant que 2,6 milliards d'êtres humains tirent l'essentiel de leurs protéines de la mer et que déjà, selon le rapport, 40 % des océans sont déjà fortement altérés par les activités humaines et que seulement 4 % ont conservé un statut de «mer vierge»!

Et le Québec?

Le Québec n'échappe pas à ce problème, car une autre des menaces qui pèsent sur les mers est déjà bien présente dans notre golfe: l'anoxie, c'est-à-dire la diminution de l'oxygène dissous en bas du seuil de survie des espèces. En août 2005, Le Devoir révélait que la vie aquatique du golfe du Saint-Laurent étouffait par manque d'oxygène, ce que venait de découvrir une expédition scientifique à bord du Coriolis II. Quelque 200 zones «désoxygénées» similaires ont été recensées en 2006 par l'ONU sur des plateaux continentaux. En 2003, on en avait dénombré 150! Cette baisse d'oxygène est généralement attribuée à la pollution organique de sources urbaines et agricoles.

Mais le Québec fait aussi fausse route dans un autre domaine: la pêche sportive. Une étude publiée la semaine dernière dans les annales de l'Académie nationale des sciences des États-Unis démontre que les humains sont en train d'appauvrir le patrimoine génétique des espèces de poissons en concentrant la pêche sportive sur les gros spécimens, ce qui est contraire au mécanisme de la sélection naturelle.

Les revues de pêche, qui valorisent la pêche aux poissons-trophées, sont aussi coupables d'aveuglement que les gouvernements qui mettent en place des règlements qui concentrent délibérément la récolte sur les gros spécimens. À plusieurs endroits au Québec, le gouvernement interdit d'avoir en sa possession un doré de moins de 30 ou 35 cm, un maskinongé de moins de 104 cm ou 127 cm (selon les régions), un touladi de moins de 40 ou 50 cm, etc. Il faudrait faire exactement le contraire et protéger les gros spécimens, les meilleurs géniteurs, en forçant leur remise à l'eau obligatoire. En protégeant les petits spécimens, indique cette étude, on encourage le remplacement des populations actuelles par des variétés à croissance plus lente et dont les défenses naturelles perdent progressivement de leur efficacité parce que la concentration de la pêche sur les gros spécimens permet à un plus grand nombre d'individus tarés ou plus faibles de se reproduire, ce que la sélection naturelle permet beaucoup moins.

Le silence de nos biologistes à propos de ces règlements contre-nature, pourrait-on dire, de leur association nationale et des universitaires étonne d'autant plus que les services gouvernementaux en cause prétendent être à l'heure de la gestion écosystémique, censée être axée sur les lois de la nature. Mais au ministère des Ressources naturelles et de la Faune, expliquait un spécialiste des poissons, «on sait que si on oblige les pêcheurs à remettre à l'eau les gros géniteurs, les gars vont avoir moins le goût de pêcher et cela aura des impacts économiques importants».

Mais que dire de l'impact économique à long terme de cheptels de poissons dégénérés et moins résistants à la pollution et aux changements climatiques? Est-ce là une pêche sportive viable?

- Lecture: Les Origines animales de la culture, par Dominique Lestel, Éditions Flammarion, 414 pages. Pour l'auteur, philosophe et éthologue, la découverte de «cultures animales» de plus en plus complexes nous oblige à envisager la possibilité que certains animaux soient dotés d'une histoire, d'une «conscience de soi» et de représentations complexes qui nous obligeraient à repenser les frontières entre eux et les humains. Un sujet fascinant où il ne faut pas perdre sa capacité critique devant la possibilité qu'on soit en train d'inventer un hyper-anthropomorphisme justement sous prétexte de combattre l'ancien!

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