Démocratie russe

«Élection» courue d'avance, hier en Russie. Et qui a donné, si l'on se fie aux premiers résultats diffusés, presque exactement ce qui était désiré par le Kremlin: 68 %, soit un peu plus des deux tiers des voix pour le protégé de Poutine, Dmitri Medvedev.

C'est à peu de choses près une répétition du score du parti Russie unie aux législatives de décembre. Dans les coulisses du régime, on avait même passé une «commande»: entre 65 et 70 % pour Medvedev, et avec un bon taux de participation, s'il vous plaît. Mais attention! Il ne fallait pas non plus dépasser les 71,2 % de Vladimir Poutine en 2004: crime de lèse-majesté!

Un résultat donc parfaitement «calibré». Mais, en réalité, ces deux tiers des suffrages «officiels» correspondent — selon des chercheurs qui ont étudié attentivement le vote aux dernières législatives — à un appui «véritable» qui se situerait plus modestement dans les 50 % du vote.

Il s'ensuit qu'il y a dû y avoir d'importantes opérations de bourrage d'urnes: tel est le diagnostic de Marie Mendras, qui dirige l'Observatoire de la Russie au Centre national de la recherche scientifique à Paris, et de Dmitri Orechkine, de l'Institut de géographie de l'Académie des sciences de Moscou.

Deux tiers des suffrages, c'est beau, c'est rond. Et tellement mieux que la demie. Surtout si jamais l'idée vous prenait, un jour, de vouloir modifier la Constitution à votre guise.

Avec son argent du pétrole et son «ordre imposé d'en haut», le régime Poutine est indéniablement populaire. Aujourd'hui, il serait à même de gagner sans problème des élections libres... si d'aventure on en organisait. Même sans la mainmise écrasante du régime sur les médias. Même sans l'intimidation policière des opposants. Et même sans bourrage d'urnes! Après tout, beaucoup de dirigeants du monde démocratique seraient très heureux de pouvoir atteindre ce chiffre magique de 50 % d'appuis pour un seul parti, ou encore pour un président dès le premier tour. Mais en Russie, ce n'est pas assez...

Lors des législatives de décembre — comme vraisemblablement lors de la présidentielle d'hier —, le bourrage d'urnes s'est concentré dans les républiques du nord du Caucase, du sud de l'Oural et du bassin de la Volga: endroits où les suffrages pour Russie unie en décembre 2007 avaient généralement dépassé les 90 %, avec un record absolu de 99 %... en Tchétchénie. La Tchétchénie, qui a — il est vrai — tellement bénéficié, dans la décennie 2000, des méthodes à poigne du bon président Poutine! Et qui lui témoigne aujourd'hui toute sa reconnaissance...

On reviendra sous peu dans cette chronique sur l'énigme Medvedev, avec un tout petit espoir en filigrane, malgré cette élection menée et gagnée entièrement sous le signe de la «méthode Poutine»... L'espoir que ce nouveau président ne sera pas une simple marionnette aveuglément loyale à son mentor.

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Hier à Bagdad, la cahotante diplomatie américaine au Moyen-Orient a subi un nouvel affront. À deux pas de l'éléphantesque ambassade des États-Unis en Irak, dans la Zone verte barricadée de la capitale, le président iranien, Mahmoud Ahmadinejad — le Diable en personne, vu de Washington —, est venu rencontrer le gratin politique de l'Irak.

Le «fou de Téhéran» — peut-être plus fin diplomate qu'on le croyait — est allé fraterniser avec des gens comme le président irakien, Jalal Talabani, et le premier ministre, Nouri Al-Maliki. Personnalités qui, malgré tout ce qu'elles ont dû aux États-Unis pour leur installation et leur maintien au pouvoir à Bagdad, deviennent de plus en plus indépendantes face à leurs embarrassants mentors.

Du point de vue américain, l'invasion de 2003 a eu l'immense effet pervers d'ouvrir toute grande la voie aux intérêts iraniens en Irak. En Irak où les deux tiers des politiciens chiites sont, peu ou prou, des clients de l'Iran.

La prise du pouvoir (même bancale, même chaotique) par la majorité chiite d'Irak, après 2003, lui a donné l'occasion de renouer avec les frères chiites d'Iran. On a alors constaté une fraternité profonde, massive, viscérale: le commerce est aujourd'hui florissant entre les deux pays, et les pèlerins circulent par millions à travers la frontière, au gré du calendrier religieux chiite, entre les villes de Qom, Nadjaf et Kerbala. Peu importe que les Américains veuillent surtout y voir de l'infiltration d'agents et du trafic d'armes.

Cette visite en plein Bagdad du président iranien constitue un véritable défi aux Américains. Les Américains dont la stratégie depuis deux ans... était pourtant d'isoler l'Iran! Encore en janvier, George Bush s'est rendu dans les pays du Golfe pour tenter de jouer sur la peur qu'éprouvent certaines élites d'Arabie saoudite, d'Égypte ou du Koweit, devant la montée en force de l'Iran.

Pour contrer cette stratégie américaine, Ahmadinejad multiplie les contacts avec le monde arabe — chiite mais aussi sunnite — et tisse sa propre toile diplomatique dans la région. Le voyage de Bagdad est un succès pour lui et pour l'Iran.

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François Brousseau est chroniqueur d'information internationale à Radio-Canada. On peuç l'entendre tous les jours à l'émission Désautels à la Première Chaîne radio, et lire ses carnets sur www.radio-canada.ca/nouvelles/carnets.

francobrousso@hotmail.com

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