Les secrets du Liechtenstein - Des banques recèlent plus que l'évasion fiscale

Les gens puissants, sinon célèbres, qui fraudent l'impôt, touchent des pots-de-vin, soustraient leurs biens aux tribunaux, pillent l'aide internationale ou s'enrichissent de trafics infâmes, ont besoin, pour mettre leur fortune en sécurité, de banques qui soient honnêtes, fiables et discrètes. Mais toutes n'étant pas à l'abri des voleurs, de la police ou du fisc, il existe de petits pays ou des îles accueillantes qui ont à coeur de préserver ces valeurs et qui, surtout, ont fait voeu de secret.

Ces clients fortunés ne pourront plus, semble-il, compter au nombre de semblables paradis la principauté du Liechtenstein. Une grande banque du minuscule État, LGT Group, est malencontreusement tombée sur des gens secrets comme des comptables ou des avocats d'affaires mais, disons, aussi dénués qu'eux de scrupules éthiques. Des agents allemands, soudoyant un ex-employé, lui-même fraudeur, ont obtenu une longue liste de clients. Depuis, Berlin a perquisitionné chez une centaine d'eux en Allemagne, jetant des centaines d'autres, ailleurs, dans l'angoisse.

Pourtant, le Liechtenstein était bien commode. Souverain depuis trois siècles, ruiné par la fin de l'empire austro-hongrois, ce petit pays avait entrepris, dans l'entre-deux-guerres, de rétablir son économie en devenant, grâce à la famille princière du même nom, un refuge pour gens d'affaires. Depuis, d'autres industries y ont prospéré, générant plus de 60 % de son produit intérieur brut. Toutefois, quelque 30 % de son PIB provient encore de «services financiers». La banque LGT Group, propriété princière, compte 77 000 clients «internationaux».

Plusieurs d'entre eux auront déjà mis leur argent sous d'autres cieux. L'alerte toutefois survient tard pour ceux dont les noms ont été communiqués aux gouvernements intéressés. Parmi ces malchanceux, pas moins de 100 Canadiens vont voir leur dossier examiné de nouveau par Revenu Canada. Ottawa n'a pas d'espions à l'étranger. Il n'achète pas, non plus, contrairement à Londres, d'informations obtenues d'une pareille manière. Toutefois, on accueille volontiers les indiscrétions, surtout quand elles transitent par le Forum sur l'administration des taxes, création de l'Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE).

Peut-être se trouvera-t-il des contribuables qui vont, le cas échéant, contester les cotisations, surcotisations et amendes que le fisc pourrait leur imposer. Mais à ceux-là dont les déclarations antérieures seraient «incomplètes», Revenu Canada fait déjà savoir qu'ils peuvent échapper à cette ponction en se prévalant du programme de divulgation volontaire. Avis est ainsi gracieusement donné aux détenteurs de fonds secrets placés à l'étranger.

L'invitation sera sans doute prise au sérieux. L'Allemagne, en effet, n'est pas le seul membre de l'OCDE à vouloir enrayer l'évasion fiscale. Ni donc à chercher à mettre fin aux comptes de banque anonymes. Le secrétaire général de l'organisation, Angel Gurria, a dissipé tout doute. «La réglementation excessive sur le secret bancaire et l'omission de partager des informations sur l'évasion fiscale par des étrangers appartiennent à une époque révolue, a-t-il déclaré. Elles n'ont plus aucun rôle à jouer dans les relations entre les sociétés démocratiques.»

La Suisse visée

Tout pays, donc, voulant rester dans la famille démocratique ne saurait plus tolérer sur son territoire des centres financiers internationaux qui accueillent encore des clients étrangers cherchant à fuir leurs obligations fiscales. On prête à Berlin l'intention de viser la Suisse, dont la réputation à cet égard est légendaire. Mais l'intrusion allemande, faite en violation de «principes» reconnus, pourrait avoir opportunément ouvert la voie à de plus importants changements. On ne trouve pas seulement de l'argent soustrait au fisc dans ces banques-là; elles recèlent aussi de graves pillages.

La Suisse n'est plus le «sanctuaire» d'autrefois. Le blanchiment d'argent y est désormais illégal. Un pays peut y faire bloquer des fonds détournés par d'anciens dirigeants corrompus. Les autorités helvétiques ont aussi signé des ententes d'assistance juridique avec d'autres gouvernements. Par contre, ce pays n'est certainement pas le seul à servir encore de plaque tournante aux manoeuvres occultes de maintes entreprises et de certains gouvernements.

Ainsi, le Liechtenstein a déjà servi de banque aux Britanniques — comme si Londres en manquait! — pour soudoyer des dirigeants d'Arabie saoudite et ainsi ravir aux Français un important contrat d'armement. BP et Shell avaient obtenu le droit de pomper un peu plus de pétrole, et l'argent qu'elles en tiraient, reversé dans un compte secret de la Défense britannique, retournait aux Saoudiens en commissions atteignant, dit-on, 40 %.

Aujourd'hui, le Liechtenstein aurait dans ses coffres plus de 150 milliards de dollars en dépôts de clients étrangers. La principauté dit avoir pris des mesures visant à prévenir le blanchiment d'argent. Elle aurait aussi adopté toutes les normes de transparence en vigueur dans l'Union européenne. L'Allemagne, clame la principauté, n'a donc aucune raison valable de violer sa souveraineté.

En tout cas, a déclaré le prince Alois, le Liechtenstein ne va pas cesser de respecter, conformément à sa constitution, le droit à la vie privée de ses citoyens et de ces «investisseurs». Elle ne va pas leur imposer de réglementation indue, encore moins permettre qu'on les espionne. Si l'Allemagne veut jouer un rôle important dans cette Europe démocratique qui tient à la «primauté du droit», a-t-il ajouté, Berlin devra renoncer à bousculer de petits pays.

Au Canada

Une telle réplique n'aura guère impressionné l'opinion publique. Si même des gouvernements démocratiques tolèrent encore des pratiques financières douteuses, les simples contribuables, eux, ont de moins en moins de patience pour les privilèges fiscaux, les détournements de l'aide internationale, et ces mouvements occultes de capitaux dont ils ont l'impression de faire les frais. Le coup fumant des renseignements allemands aura plutôt rappelé à quel point les services de police et les autorités financières sont souvent ineptes en matière de crime économique.

Pas plus tard qu'en février, le Fonds monétaire international (FMI) signalait qu'au Canada la communauté des affaires n'était guère satisfaite de la Gendarmerie royale en matière de fraude financière. Fort peu d'enquêtes avaient donné lieu à des poursuites, et encore moins s'étaient conclues par des condamnations. Pourtant, la GRC a formé une équipe spéciale qui, depuis 2003, traque cette criminalité.

L'an dernier, cette équipe comptait 112 enquêteurs, six conseillers juridiques et un coordonnateur chargé des poursuites. Son budget annuel était de 30 millions de dollars. D'après une évaluation externe faite pour la GRC, elle avait, en date de mai 2006, entrepris 13 enquêtes importantes, porté une seule affaire devant les tribunaux et obtenu également une seule condamnation. Dans 34 cas de moindre importance, quatre poursuites seulement avaient été instituées.

Gouvernements et petits investisseurs ne sont pas les seuls à subir des pertes aux mains de criminels en complet-cravate. Les consommateurs sont de plus en plus nombreux à tomber dans les filets des arnaqueurs du marketing. Une enquête du groupe Environics faite pour le Bureau de la concurrence a trouvé, l'an passé, que près d'un million de personnes au pays avaient été touchées par ces pratiques criminelles. Faut-il croire que le Canada aussi est un paradis pour les fraudeurs?

Bref, il en va de la finance comme du reste. Quand on y préfère le secret à la transparence, c'est souvent que l'on y cache un gain inavouable.

redaction@ledevoir.com

Jean-Claude Leclerc enseigne le journalisme à l'Université de Montréal.

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