Le nouveau Kennedy

Le monde entier attend avec impatience que l'année se termine, presque certain qu'il est que les Américains vont non seulement se donner un nouveau président, mais qu'il sera démocrate et peut-être jeune et noir. L'espoir que suscite le sénateur de l'Illinois Barack Obama ressemble un peu à l'attente du Messie.

Quand les gens s'installent dans le fauteuil de l'espoir et du rêve, ils ont aussi tendance à invoquer des personnages plus légendaires que réels, comme John Kennedy, dont le charme et la jeunesse ont créé un mythe. Kennedy fut un président plutôt ordinaire, à qui on doit le renforcement de la guerre froide, la baie des Cochons et le début de l'embourbement américain au Vietnam. Les grandes réussites dont on le crédite (les droits civils et la guerre contre la pauvreté) furent le fait de son successeur, Lyndon Johnson. Mais quels ravages historiques ne font pas le charme, la jeunesse, l'élégance, la beauté de sa femme et celle de sa maîtresse présumée! Kennedy est devenu une star de l'Imaginaire collectif occidental. Peu importe les faits, Kennedy signifie «rupture avec le passé», mais quel passé, celui du style ou de la politique?

La comparaison apparut rapidement. Obama est le nouveau Kennedy. Jeune, charmant, bien éduqué, charismatique, il possède le sens de la formule et du slogan. Comme Kennedy, il parle d'espoir et de rêve. Dans les discours de Kennedy, on entendait beaucoup les mots «rêve» et «espoir», «changement» et «engagement». Dans les discours d'Obama reviennent les mêmes invocations, qui ressemblent parfois à des trucs de preacher dans une église baptiste. Pourtant, les deux hommes sont foncièrement différents, et dans leurs origines et dans leurs parcours. Kennedy est un fils à papa qui finance son ascension politique. Il fait partie d'un clan quasi aristocratique. Quand il commence en politique, il n'a jamais travaillé vraiment et n'a jamais rencontré un pauvre de sa vie. Obama vient d'une famille modeste, est admis à Harvard parce qu'il est brillant. Il enseigne le droit constitutionnel, travaille pour les défavorisés de Chicago.

Tout comme en 1960, les progressistes occidentaux souhaitaient la victoire du jeune Kennedy, une sorte de beaujolais nouveau, sur le représentant de l'establishment, le vice-président Nixon, la gauche, partout dans le monde, souhaite l'avènement d'Obama et sa victoire sur la monotone et très affairiste Hillary Clinton. On dirait la même opposition: le charme et la jeunesse contre la carriériste membre de l'establishment.

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Imaginons qu'Obama est presque Kennedy et que Clinton n'est pas totalement Nixon. Imaginons qu'Obama ne sert pas de thérapie collective aux Américains pour affirmer que leur société n'est plus raciste et imaginons qu'Hillary n'est la femme de personne, seulement une femme en politique. Sur quoi se fonderait-on pour préférer l'un à l'autre?

Sur leur style, bien sûr, mais finalement sur leur programme.

L'imaginaire collectif place solidement Obama dans le camp du progrès et du renouvellement, alors qu'il considère Clinton comme faisant partie du pouvoir établi, de la continuité. Il incarne comme Sarkozy la rupture, elle symbolise une sorte de pérennité de la politique de Washington. Ce n'est pas si simple.

On cite invariablement le vote courageux et pratiquement solitaire du sénateur de l'Illinois contre la guerre en Irak en l'opposant à l'acceptation sans réserve de l'invasion illégale par la femme de Bill. Mais que proposent les deux pour l'avenir? À peu près les mêmes modalités de retrait, une offensive diplomatique régionale et un effort de réconciliation. Pour être honnête, disons que le calendrier de retrait proposé par Obama est plus précis et plus contraignant.

Il faut donc chercher ailleurs des raisons progressistes d'appuyer l'un plutôt que l'autre. Obama est opposé à la peine de mort et Clinton y est favorable. Mais depuis qu'il est en campagne, Obama évite le sujet. Le contrôle des armes? Après la fusillade à Northern Illinois, les deux candidats ont réagi de la même manière. Il vaut mieux appliquer les contrôles qui existent déjà. Pas question de s'opposer à la libre circulation des armes à feu.

À propos de la crise économique, Clinton parle d'équilibre budgétaire (il faut respecter le mari), mais tous les deux proposent en gros les mêmes remèdes. Les deux sont d'accord pour annuler les réductions d'impôt scandaleuses accordées par Bush aux riches, Clinton parle un peu plus de la classe moyenne et Obama un peu plus des pauvres. Il faut quand même penser à sa clientèle naturelle.

Obama incarne peut-être le changement dans le domaine de la santé. Oui, un peu. Mais Clinton aussi. Tous deux proposent des mesures pour que les 50 millions d'Américains qui ne possèdent aucune assurance santé puissent dorénavant être protégés. Le programme de Clinton recourt plus à l'État que celui d'Obama, mais au bout du compte, ni l'un ni l'autre n'évoque un régime universel public d'assurance santé. Leurs formules complexes d'accès à l'assurance assurent la pérennité subventionnée par l'État des assureurs privés. Sur l'environnement, ils partagent les mêmes vues, de même que sur l'immigration illégale.

Finalement, Obama est peut-être le progressiste. Parce qu'il est noir, qu'il est jeune et qu'il n'est pas riche. Et Clinton est peut-être la conservatrice parce que son mari fut président des États-Unis. C'est un peu comme si le monde souhaitait plus un changement de style et d'allure que de substance et de réalité. Tout cela repose sur presque rien. Un sourire chaleureux ou un tailleur mal coupé. Car l'un et l'autre sont pareils.

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