Place aux artisans du goût!

En consultant ces jours-ci le rapport de la commission sur l'avenir de l'agriculture, en écoutant le débat concernant les frères Desrosiers, mais surtout en constatant l'évolution de l'alimentation au Québec, je ne peux m'empêcher de réagir contre les peurs alimentaires qu'on tente d'imprégner dans nos cerveaux.
Nous ne sommes pas, au Canada, «le plus meilleur pays du monde», l'exemple par excellence pour ce qui est de répondre à l'évolution grandissante des produits alimentaires. Nous croyons à tort que notre alimentation industrielle, trop calquée sur celle de nos voisins américains, est sans reproches.Faut-il rappeler que nous sommes non seulement l'un des plus grands producteurs de maïs et de blé transgéniques, que nous refusons d'identifier l'origine ou d'ajouter la mention «génétiquement modifié» sur les produits, mais qu'en contrepartie on oblige les petits artisans à mettre les valeurs nutritionnelles sur tous les produits alimentaire vendus? Faut-il aussi rappeler qu'il est pratiquement impossible de retrouver du lait 100 % lait, sans ajout de quelque acide gras oméga, fluor ou vitamines?
L'Agence canadienne d'inspection des aliments (ACIA) se targue de protéger tous les Canadiens contre l'importation de produits impropres à la consommation. Eh bien, bravo! Mais la même agence tolère chez nous des taux de nitrites, d'agents de conservation ou d'additifs alimentaires, dans certaines charcuteries notamment, qui sont proscrits dans des pays largement en avance pour la traçabilité et la régionalisation de leurs produits.
Savons-nous qu'on donne encore des farines de poisson aux volailles, et aux poissons des moulées de volaille, et que la volaille élevée en batterie en trois ou quatre semaines n'aura jamais eu la chance de sortir de sa cage pour manger autre chose que sa moulée?
Il aura fallu toute l'ardeur de la Délégation commerciale d'Italie pour que le doux et suave parfum du jambon de Parme entre enfin au pays et ravisse les consommateurs gourmets. Idem pour le Seranno avec la guerre de pouvoir contre les fonctionnaires espagnols qu'ont menée les Canadiens, prétendant que le jambon ibérique pouvait être dangereux. D'accord pour la mise en place de paramètres d'hygiène et de sécurité. Mais il s'agit peut-être plus de protéger certains industriels qui pourraient voir leurs profits fondre comme neige au soleil.
Souvenez-vous de la bataille qui a permis au Québec d'être aujourd'hui mondialement reconnu pour la qualité de ses fromages. On sait que le sel est et a toujours été un conservateur de premier ordre, et c'est en partie pour cette raison qu'on en ajoute en général, dans les charcuteries, 2 % de plus que ce que suggèrent les normes internationales de salaison. On devrait se méfier davantage du gras ajouté et caché dans les saucisses à petit-déjeuner, ces charcuteries commerciales injectées d'importantes doses de nitrites qui donnent à la viande cet aspect bien rosé, pour une impression de fraîcheur.
A-t-on oublié que la planète entière est en mutation alimentaire et qu'on peut produire, si le marché l'impose et contre tout respect saisonnier, des fraises toute l'année sous serre à Drummondville? Les consommateurs actuels ne sont plus dupes et souhaitent retrouver chez eux une qualité de produit, une spécificité identique à celle qu'ils retrouvent dans les régions de France, d'Espagne et d'Italie.
Voilà pourquoi l'artisanat alimentaire encadré par des pouvoirs (tolérants) doit absolument demeurer. Mais de grâce, évitons cette aseptisation calquée sur nos voisins qui ne garantit nullement à long terme plus de sécurité pour notre bien-être.
Tout est comparaison
On a souvent témoigné dans ces pages de l'évolution fabuleuse du Québec en matière d'alimentation. Nous sommes choyés — et nous ne le savons pas — de pouvoir bénéficier du monde alimentaire à notre portée. Des oranges de Sicile jusqu'au parmesan, il est facile de retrouver la planète dans notre assiette. Contrairement à certains, je considère comme nécessaire, afin de mieux produire chez nous, de réaliser cette comparaison. Il existe des centaines de cultivars de fraises, alors pourquoi ne pas choisir les meilleurs et produire en saison une variété spécifique à l'île d'Orléans, par exemple?
Depuis des dizaines de générations, les Espagnols fabriquent le jambon à partir de cochons noirs qui mangent des glands et vivent en liberté. Le résultat est une viande savoureuse et enviée partout dans le monde. Pourquoi ne pas s'inspirer de ce savoir-faire et produire en Gaspésie ou dans Charlevoix une race spécifique et miser sur cette régionalisation?
On cultive, parmi les consommateurs, des peurs alimentaires comme on le faisait au XVIIIe siècle avec les pommes de terre et la crainte du scorbut. Les temps ont heureusement changé et l'attrait pour des produits meilleurs n'est pas qu'un voeu pieux. Pour toutes ces raisons, les artisans sérieux qui savent se doter de connaissances professionnelles, du savoir-faire enseigné par les écoles d'agriculture, devraient reproduire, en mieux et ici, de grands produits labellisés sans avoir à craindre les monopoles ou le lobbying des grandes multinationales de l'alimentation. Les cas cités ou recités dans les domaines du vin, du fromage, du pain et de l'agneau devraient être des exemples de fierté et non de soucis avec des fonctionnaires trop zélés.
De jeunes agriculteurs transformateurs, comme M. Lahaye de Saint-Augustin-de-Desmaures, près de Québec, n'hésitent plus à parcourir les 300 kilomètres qui les séparent de Montréal pour vendre leurs produits. Ce sont des produits laitiers de grande qualité qui sortent des sentiers battus du système imposés par les industriels du lait. M. Lahaye se bat pour obtenir le droit de fabriquer du beurre en utilisant le lait puis la crème d'un seul troupeau. «Pas facile lorsqu'on devient renégat du système qui laisse peu de place aux artisans», précise-t-il. En attendant, et en respectant les règles d'hygiène et de contrôle qui n'en finissent plus, son lait et sa crème trouvent preneurs chez des gens qui se réjouissent d'avoir enfin du lait qui goûte le lait.
Durant le festival Montréal en lumière, qui se termine, on a pu voir l'intérêt marqué de chefs de Toronto qui utilisent dans leurs restaurants des fromages proscrits chez eux. Dans le même pays, on retrouve une législation différente à l'égard de l'étiquetage obligatoire dans les deux langues. Acheter, comme le prescrit la loi, un produit à Vancouver avec l'étiquetage en français relève parfois du parcours du combattant.
À cela, l'ACIA, qui se plaint d'un manque d'effectifs, répond qu'il faut dénoncer incognito les mauvais élèves, qui «pourraient eux aussi finir en prison». Réveillons-nous: en 2008, les consommateurs voyagent et découvrent le tourisme gourmand, un tourisme de plus en plus en demande dans les agences de voyage. Si un produit est bon lorsqu'on est en voyage, comment pourrait-il être néfaste une fois de retour chez nous?
Des artisans comme Mme Cadieux, M. Lahaye, Damien Girard dans Charlevoix, la famille Arsenault, aux Îles, qui fume le hareng comme personne, et tous les autres oubliés, devraient plutôt être louangés. Ils sont la fierté d'un peuple qui dira, dans 10 ans: «Tu sais, je me souviens... »
Philippe Mollé est conseiller en alimentation. On peut l'entendre tous les samedis matin à l'émission de Joël Le Bigot, Samedi et rien d'autre, à la Première Chaîne de Radio-Canada.
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Gastroscopie
Montréal en lumière 2009
Paris, la Ville lumière, sera en 2009 l'invitée du festival Montréal en lumière. Déjà, certains pensent à l'Ambroisie de Bernard Pacaud, l'un des meilleurs chefs de l'heure, ou à Ducasse et Robuchon comme présidents pour l'année prochaine.
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Biblioscopie
Les cuisines du monde pour les nuls
Philippe Chavanne
First Editions, 411 pages, imprimé en France, 2007
Voilà une série bien connue du public et qui nous offre cette fois un tour du monde de recettes simples et reconnues. Anecdotes, trucs et parfois suggestions de l'auteur nous font goûter son plaisir du voyage gourmand. Un ouvrage amusant, presque pour tous.
La recette de la semaine
Haché de saumon fumé, copeaux de parmesan à l'érable
- 180 g de saumon fumé
- 1/2 petit concombre épluché, épépiné et taillé en petits dés
- 15 ml de coriandre hachée
- 50 g de dés de fenouil en brunoise
- 15 ml de jus de yusu
- 30 ml d'huile d'olive
- 2 ml de piment haché au goût
- 1 jaune d'oeuf
- 15 ml de moutarde forte
- 30 ml de copeaux de parmesan
- 15 ml de sirop d'érable
- Sel et poivre au goût
Dans un saladier, mélangez la moutarde, l'oeuf et l'huile d'olive puis ajoutez le jus de yusu. Intégrez les dés de concombre, le fenouil et la coriandre avec le piment. Ajoutez ensuite le saumon fumé et mélangez le tout. Assaisonnez avant de mouler en cercles le tartare. Plongez les copeaux de parmesan dans l'érable et disposez sur le dessus des tartares.