De cons et de conserves

Le détournement fait tache. Le ministre de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation du Québec (MAPAQ) est l'objet de railleries dans le cyberespace en raison des bâtons qu'il semble vouloir mettre, encore une fois, dans les roues de plusieurs artisans du terroir.
La preuve: depuis quelques semaines, deux adresses portant son acronyme — mapaq.qc.ca et mapaq.ca — conduisent non pas au site du ministère, mais plutôt vers une vitrine numérique hautement revendicatrice d'un restaurateur-traiteur montréalais... en colère. Et qui, dans un document intitulé Petite chronique en quatre temps d'un cauchemar made in Québec, en explique les raisons, tout en dénonçant au passage des incohérences et des erreurs de jugement que les fonctionnaires de la bouffe au Québec semblent vouloir collectionner.Le restaurateur en question s'appelle Dominic Lamontagne. Il est un des propriétaires de l'entreprise Gastronomie Le Naked Lunch, baptisée ainsi en l'honneur de Burroughs, l'écrivain de la nouvelle du même nom, et de Cronenberg, le cinéaste qui l'a mise en images.
Et depuis Verdun à Montréal, où son commerce a pignon sur rue, M. Lamontagne a décidé, en 2005, de remettre la conserve au goût du jour en enfermant dans de petites boîtes de métal des soupes aigres et piquantes à la chinoise, des coqs au vin ou des crèmes de citrouille et potiron. Entre autres.
À l'heure de la quête perpétuelle de l'authentique, du terroir et du prêt-à-manger au goût maison, l'idée n'étonne pas. Pis, elle semble aussi pas mal percoler chez les glaneurs de tendances, si l'on se fie au nombre croissant d'entreprises ou même de chefs qui essaient de renouer avec ce symbole du passé que le côté suranné rend paradoxalement très actuel.
Or, même si c'est hype, comme disent les Tibétains, faire de la conserve n'est pas donné à tout le monde. Surtout lorsqu'elles contiennent de la viande, du poisson ou des aliments dont l'acidité est faible. Dans ce cas, en effet, la mise en boîte, suivie du traitement de circonstance à la chaleur sous pression, ne tolère aucune improvisation. Et ce, pour éviter l'apparition de pathogènes, dont le peu aguichant Clostridium botulinum, à l'origine du botulisme, une infection grave qui peut causer la mort. Rien de moins.
On connaît la chanson
Bien sûr, M. Lamontagne, qui veut nourrir ses clients plutôt que les tuer, connaît la chanson. Il connaît aussi, sans doute, Nicolas-François Appert, l'homme qui, en 1795, a inventé la mise en conserve et dont les règles de conservation par la chaleur sont toujours en vigueur aujourd'hui.
Ce procédé repose, dans les grandes lignes, sur des notions de temps d'exposition à la chaleur et de températures élevées (plus de 120 °C). Le tout doit être modulé en fonction de l'altitude où la mise en conserve est faite mais aussi de la nature des aliments à traiter et de leur poids.
La mathématique est complexe. Mais elle a aussi été étudiée par Gastronomie Le Naked Lunch, qui a vérifié à plusieurs reprises auprès du MAPAQ, depuis 2005, la validité de son permis d'exploitation pour faire des conserves.
D'ailleurs, selon Dominic Lamontagne, plusieurs inspections de son unité de production au cours des dernières années n'ont jamais mis en lumière de problèmes dans la manière dont son entreprise met en boîte ses pot-au-feu de cerf rouge ou ses tajines d'olives et légumes verts. Et sans constat d'infraction, il pouvait raisonnablement croire que tout allait pour le mieux dans sa conserverie.
Mis en boîte par le MAPAQ
Erreur. L'an dernier, le vent tourne. Après quatre inspections en ligne, dont les trois premières se déroulent sans anicroche, la dernière visite du MAPAQ se solde, elle, par une tragédie. Coup de théâtre: plus de 2000 conserves sont saisies et une «mise en garde à la population» est diffusée par le ministère, qui invite les consommateurs à se méfier des conserves de Gastronomie Le Naked Lunch, qui «n'ont pas été préparées de façon à en assurer l'innocuité nécessaire à la consommation humaine».
Le petit producteur de conserves de Verdun n'a forcément pas envie de rire.
Entendons-nous bien: il ne s'agit pas ici de remettre en question la compétence du ministère, gardien de la salubrité des aliments au Québec en matière de protection de la santé publique. Son acharnement à traquer les produits qui pourraient être néfastes pour les consommateurs est bien sûr à saluer.
Il en va de même pour ses inspections visant à prévenir la présence de botulisme dans une conserve, un animal qu'on n'a pas vraiment le goût de croiser au bout d'un ouvre-boîte!
Mais dans chaque combat, il y a parfois des dérapages. Et c'est certainement ce qu'il est possible de conclure dans le cas présent avec une entreprise qui, du jour au lendemain, voit son procédé de mise en conserve, pourtant accepté par des inspecteurs provinciaux, soudainement remis en question et même considéré comme dangereux pour la santé publique.
Une accusation qui n'est pas anodine et qui peut nuire considérablement, le MAPAQ le sait très bien, à l'image d'une entreprise.
Pire, alors que le botulisme dans l'alimentation est loin d'être généralisé au Québec — trois cas ont été identifiés en 2006-2007 dans des jus de carottes provenant des États-Unis, et c'était une année exceptionnelle —, alors que les produits du restaurateur montréalais n'ont été à l'origine d'aucune plainte, le retrait médiatisé de 2000 conserves pour insalubrité peut effectivement laisser perplexe.
D'autant qu'aucune boîte visée par ce retrait n'a été ouverte pour voir si du botulisme, ou d'autres pathogènes, s'y cachait. Pourtant, le MAPAQ dispose des laboratoires et de l'expertise nécessaires pour réaliser ce genre d'analyse.
Une surveillance normale
Du côté du ministère, on se défend bien de harcèlement de petits producteurs qui mettent sur le marché des produits qui cherchent à trancher avec l'homogène et l'aseptisé dominants.
Dans la foulée de l'emprisonnement, il y a quelques semaines, d'un des producteurs du Lait d'Antan, un lait biologique atypique et aujourd'hui disparu, cette accusation peut effectivement germer dans les méandres d'un esprit critique. À tort, selon Guy Auclair, porte-parole du ministère,joint au téléphone plus tôt cette semaine.
Pour lui, la surveillance des procédés de transformation dits à risque — dont la mise en conserve fait partie — est une activité tout à fait normale au MAPAQ. D'ailleurs, outre Gastronomie Le Naked Lunch, le restaurant Les Cons servent — oui, c'est son nom! — de Montréal ainsi que Le Canard goulu, un producteur de foie gras de la région de Québec, font face actuellement au même zèle de la part des fonctionnaires provinciaux, dont la sensibilité au phénomène de la conserverie artisanale paraît toute récente.
Le Canard goulu
À preuve, Le Canard goulu, par exemple, produit des conserves sans problème depuis 10 ans. Mais le MAPAQ veut désormais qu'il montre patte blanche pour éviter, à l'avenir, des empoissonnements qui, de toute évidence, ne se sont pas produits dans les 10 dernières années, si l'on se fie à la popularité et à la notoriété de cette entreprise de Saint-Apollinaire.
C'est sans doute un peu normal. Au Québec, le Clostridium botulinum n'a pas été à l'origine de décès depuis belle lurette, selon les rapports du MAPAQ en matière de toxi-infections alimentaires.
D'après ces mêmes rapports, sa présence dans des conserves semble également difficile à démontrer, année après année, prouvant du même coup que les procédés de la conserverie, vieux de plus de deux siècles, semblent assez bien maîtrisés, merci.
Malgré tout, le consommateur peut se réjouir de voir le MAPAQ travailler activement pour maintenir cet écosystème, forcément fragile — avec les virus, il en va ainsi.
Mais il pourrait aussi se réjouir de voir ce même ministère déployer autant d'efforts, à l'avenir, pour mener à bien une autre de ses missions qui consiste à encourager la diversité de l'offre agroalimentaire et le développement des circuits courts de distribution, le tout «dans une perspective de développement durable».
Et, forcément, un rappel médiatisé de 2000 conserves d'une petite entreprise artisanale, sur des bases pour le moins discutables, fait, dans la conjoncture actuelle, un peu désordre.
conso@ledevoir.cac