Médias - TQS et le financement de la télévision
La semaine dernière, je mentionnais dans cette chronique qu'on lisait très peu d'idées novatrices sur ce que devrait devenir TQS. On a vraiment hâte de voir qui achètera le réseau, parce que des idées commencent à apparaître ici et là, mais elles se situent complètement aux antipodes!
Suggestion d'un lecteur sur le site Internet du Devoir: faire de TQS une chaîne d'information «de droite», comme Fox News aux États-Unis. Lu ailleurs: faire de TQS une chaîne haut de gamme et de haute culture!Il existe un autre scénario, le «scénario paranoïaque», pourrait-on dire. Il a été évoqué par l'analyste Claude Thibodeau dans une entrevue à la chaîne Argent.
Le raisonnement est le suivant: une grosse entreprise, Rogers par exemple, pourrait acheter le réseau... et le revendre dans quelques années à des intérêts américains, en faisant un beau profit.
Ce scénario n'est peut-être pas si absurde lorsqu'on sait que le gouvernement Harper songerait à assouplir les règles de propriété des entreprises canadiennes. Cette intention présumée du gouvernement Harper est régulièrement évoquée au Canada anglais.
Sans sombrer dans la théorie du complot, remarquons pour le moment que le futur acheteur de TQS devra quand même décider s'il veut faire de TQS une chaîne spécialisée, qui aurait ainsi accès aux redevances des abonnés du câble et du satellite.
S'il veut maintenir le caractère généraliste de TQS, il devra trouver une meilleure façon de financer la chaîne. Il sera peut-être tenté de reprendre la lutte des propriétaires actuels, qui voulaient convaincre le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) d'accorder des redevances aux chaînes traditionnelles.
Le CRTC a refusé cette redevance le 17 mai 2007 et, en relisant sa décision, on se rend compte que les partisans de cette redevance ont encore beaucoup de travail à faire.
Car le CRTC n'était pas convaincu, chiffres à l'appui, que les chaînes traditionnelles allaient si mal que ça. TQS n'aurait évidemment pas de mal à convaincre le CRTC qu'il frôle la faillite, mais si le CRTC croit toujours que les chaînes traditionnelles, comme TVA ou CTV, sont généralement prospères, on voit mal comment il pourrait faire une exception réglementaire pour TQS!
À l'époque, le CRTC avait également évoqué l'absence «de données fiables et convaincantes» sur l'impact d'une telle redevance auprès des chaînes spécialisées et auprès des distributeurs. Et il écrivait qu'il «n'est pas convaincu de l'opportunité de modifier autant en profondeur la structure des revenus du système de radiodiffusion».
D'accord. Mais on se dit que la réflexion autour de TQS serait peut-être l'occasion, justement, de faire une réflexion en profondeur sur le financement du système télévisuel.
En France, le président Sarkozy a lancé une véritable bombe, il y a deux semaines, en annonçant qu'il voulait retirer toute publicité du réseau public France Télévision. Voilà peut-être le genre de vaste réflexion qui nous manque ici.
La publicité sur l'ensemble des chaînes publiques en France représente le très joli magot d'environ 850 millions d'euros. Comment remplacer ce manque à gagner? Le gouvernement Sarkozy jongle avec toutes sortes d'hypothèses audacieuses. Une taxe prélevée auprès des distributeurs, par exemple, ou une taxe sur les appareils électroniques qui diffusent de la télévision (téléviseurs, ordinateurs, téléphones mobiles).
Dans plusieurs pays européens, le financement de la télévision obéit à une autre logique qu'ici. Au Canada, vos gouvernements puisent à même vos impôts pour financer les chaînes publiques. En Grande-Bretagne la BBC, qui ne compte aucune publicité en ondes, bénéficie d'une redevance de 180 euros par année prélevée auprès de chacun des foyers britanniques, et qui représente 75 % de ses revenus (la BBC tire aussi beaucoup de revenus de la vente à l'étranger de ses programmes).
Pourquoi ne pas tout mettre sur la table cette année? La possibilité d'avoir des chaînes publiques sans publicité, la possibilité d'avoir une redevance clairement déterminée pour chaque contribuable, la possibilité d'envoyer aux chaînes traditionnelles une partie des revenus des abonnés du câble et du satellite, mais aussi la possibilité de vraiment choisir les chaînes que nous voulons chez les distributeurs...
Il est possible que certaines de ces idées soient farfelues, et je ne prône pas nécessairement le retrait de la publicité de Radio-Canada. Mais la crise actuelle autour de TQS serait une bonne occasion de faire preuve d'audace dans la réflexion, de brasser toutes les cartes.
Encore faut-il que les propriétaires des médias fassent preuve de la même audace, et que le prochain patron de TQS sache véritablement comment attirer le téléspectateur. Si TQS doit obtenir des redevances des abonnés et continuer à diffuser Loft Story tous les soirs, je veux avoir le droit de ne pas payer pour!
Et le prochain propriétaire ne doit pas perdre de vue cette donnée essentielle: le succès grandissant d'Internet auprès de la population. Les fournisseurs d'accès à Internet devraient-ils mieux contribuer à financer les programmes de télévision?
pcauchon@ledevoir.com