La guerre, no sir !
C'est un roman sur la guerre. C'est un roman d'espoir, pourtant. Une sorte de guide de survie. Que faire quand tout a été détruit autour de nous, quand on a tout perdu?
Bien sûr, on peut s'enliser dans la douleur, le désespoir sans fin. Dans la culpabilité à outrance, aussi. Pourquoi eux, pourquoi pas moi? Pourquoi sont-ils morts, pourquoi ai-je survécu? Comment accepter ça?Dredio, de Marie-Chantale Gariépy, une Montréalaise de 32 ans qui signe ici son deuxième roman, nous plonge au coeur d'une ville dévastée par la guerre. On ne sait pas où ça se passe exactement, ni quand. On ignore même qui sont les assaillants. Peu importe. Ça nous concerne tous.
Ça pourrait être ici, maintenant. Ça pourrait être vous, ou moi. Ça pourrait être n'importe qui, là, sur la route, au lendemain d'un énième bombardement.
C'est une jeune femme de 24 ans. Qui erre, solitaire, au milieu des débris, et des cadavres qui s'amoncellent par milliers. Elle croise sur sa route un garçon de neuf ans, un orphelin de la guerre, totalement désarmé, seul au monde. Elle le prend sous son aile.
«Je me souviens encore de son visage de gamin brûlé par les flammes, dans lequel la peur avait déjà creusé de profonds sillons.» C'est la jeune femme qui raconte.
Elle raconte comment, tout à coup, sans crier gare, sa vie vient de prendre un sens. Il lui faut sauver cet enfant-là, à tout prix. Lui ouvrir les bras. Lui donner à manger, lui fournir un toit. Lui construire un avenir, aussi.
Au début, elle ne se pose pas de questions. Elle agit par instinct. Mais chemin faisant, elle constate qu'elle aussi a un droit. Le droit d'aller de l'avant.
Ça se passe à son insu, subrepticement. Elle reprend goût à la vie, malgré elle. Malgré l'horreur, derrière. Malgré les cauchemars du petit, et ses larmes à elle. Malgré les vies gâchées qu'elle voit autour d'elle.
Impossible de venir à bout des souffrances de tout un chacun, de toute façon. Impossible de panser les plaies de ce vieil homme qui a vu, de ses yeux vu, sa femme et sa fille violées, puis assassinées sauvagement par des soldats qui se croyaient tout permis.
Tout ce qu'on peut faire, c'est être là. Apporter du réconfort, avec les moyens du bord. Tenter de consoler, en sachant qu'on n'y arrivera pas vraiment. Advienne que pourra.
Ça pourrait ressembler au repos du guerrier. Ça pourrait ressembler à ceci: «Il s'était installé entre nous quelque chose comme une trêve. Nous parlions peu, nous ne faisions pas grand-chose, pour nous faire oublier du mal, pour qu'il nous laisse tranquilles un moment. Nous savions bien qu'il ne pourrait pas en être ainsi éternellement, qu'il faudrait bien nous ressaisir, continuer.»
Incroyable mais vrai: au bout d'un certain temps, c'est possible, ça revient, ça advient. Les envies, le plaisir, les rires. Comment est-ce possible? «C'est absolument indescriptible, rire dans l'horreur. Nous ressentions de cette gaieté incongrue autant de réconfort que de honte.»
Terrible, non? Et que dire du désir, qui monte, qui monte, et nous embrase, nous étreint?... Que faire de l'amour, qui nous tombe dessus, nous engage? Des bébés finiront bien par arriver, la roue continuera de tourner. La vie reprendra ses droits, quoi!
Facture classique
Arrêtons-nous là. Dredio, de toute façon, ne se résume pas. Ne se réduit pas à une histoire, toute universelle soit-elle. Ne se laisse pas, non plus, enfermer dans un carcan, un style littéraire prédéfini.
Comment dire? On a l'impression de lire un roman de facture classique, qui s'assume. Qui s'affirme, envers et contre tout, quitte à paraître suranné en ce début de XXIe siècle. Qui ne réinvente rien du point de vue formel, d'accord, mais qui sonne juste, trouve les mots qu'il faut, assurément.
Surtout, on sent, on sait que ce roman-là touche à l'essentiel. À ce qui pourrait ressembler à de la solidarité, à de l'entraide. À de l'amour, finalement. Bon, ça aussi, ce serait quelque chose de vieillot, de dépassé, en cette ère où il est de bon ton (de bonne guerre) de jouer la carte du cynisme.
Quoi qu'il en soit, Dredio n'est pas vraiment un roman sur la guerre comme tel. C'est même fleur bleue par moments. À croire que la guerre, l'horreur, la haine et tout ce que cela entraîne ne sont qu'un prétexte, finalement.
Un prétexte pour dire que, oui, il y a de l'espoir. Même dans le pire. Oui, la reconstruction est possible. La reconstruction d'une ville, d'une vie. La reconstruction d'une âme, aussi.
Si la littérature peut nous apporter ça, au moins ça, seulement ça, tout n'est pas perdu...
Collaboratrice du Devoir
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Dredio
Marie-Chantale Gariépy
Marchand de feuilles
Montréal, 2008, 160 pages