En aparté - Friducha

Des visiteurs déambulent devant une photographie de Frida Kahlo lors de l’inauguration qui lui était consacrée au Musée d’art contemporain de Monterrey, au Mexique, en août dernier.
Photo: Des visiteurs déambulent devant une photographie de Frida Kahlo lors de l’inauguration qui lui était consacrée au Musée d’art contemporain de Monterrey, au Mexique, en août dernier.

Un bon éditeur est disparu. Lecteurs, faisons semblant d'être tristes puisque, tout comme les poètes, les bons éditeurs font seulement semblant d'être morts. En quarante ans de métier, l'éditeur Christian Bourgois a publié plusieurs écrivains dont les vies iront au-delà des nôtres.

Que doit-on à Christian Bourgois, mort le 20 décembre et célébré, pour une dernière fois, la fin de semaine dernière à Paris? Plusieurs livres très particuliers, parmi lesquels on trouve tant les lettres de Boulez et un brillant reportage sur la pauvreté en Angleterre de Robert McLiam Wilson que les livres d'Antonio Lobo Antunes. Il publia aussi des écrivains de la mouvance Beat: Allan Ginsberg, William Burroughs, Jack Kerouac. Plusieurs monuments aussi sont à son enseigne: Pessoa, Harrison, Tabucchi, Sontag, Vian, Rushdie...

Son livre à lui, comme pour tous les bons éditeurs, était tout simplement son catalogue.

Christian Bourgois disait qu'il ne craignait pas la mort, mais qu'elle l'ennuyait. Bien ennuyeuse, en effet, cette mort puisqu'elle nous prive d'un éditeur au jugement aussi sûr.

Les Éditions Christian Bourgois ont fait paraître, il y a peu de temps, des extraits de la correspondance de Frida Kahlo. La Friducha de Diego Rivera, la Chicua qui détestait l'Amérique façon Gringoland, apparaît dans ces pages, souvent bouleversantes, telle un femme aussi énergique que brillante, aussi passionnée que passionnante.

De New York, elle écrit en 1931: «La high society d'ici me tape sur le système et je suis pas mal en colère contre tous les richards du coin, car j'ai vu des milliers de gens dans une misère noire, sans rien à manger, sans un toit où dormir, c'est ce qui m'a le plus impressionnée ici.» Elle s'occupe tout de même d'échanger des lettres d'une infinie politesse avec le clan des Rockefeller, pour qui son Diego travaille alors...

Même si elle est encore toute jeune au moment où elle rédige les toutes premières lettres reproduites ici, son aplomb surprend. En fait, ce sens précis de sa destinée en toute chose et à tout moment ne cesse de surprendre. Dès son plus jeune âge, Frida Kahlo apparaît en effet avoir une conscience très fine de la vie. Est-ce parce qu'elle lit beaucoup, comme le révèle bien sa correspondance?

Longtemps alitée à la suite d'un terrible accident de la route, puis portant ensuite en elle la mort comme cet enfant qu'elle n'aura pas, Frida Kahlo fréquente sans cesse des artistes de première importance en leur domaine: le caricaturiste Covarrubias, le peintre Siqueiros, le politique Léon Trotski, la peintre Georgia O'Keeffe, la photographe Tina Modotti, pour ne nommer que ceux-là. On les croise tout au long de l'édition française de cette formidable correspondance, à laquelle on peut néanmoins reprocher, en marge de quelques partis pris trop franco-français, de ne pas être intégrale.

Comme on le sait, l'année 2007 fut largement consacrée à célébrer le centenaire de naissance de la peintre mexicaine décédée en 1954. L'année des célébrations est terminée, mais pas les célébrations elles-mêmes. Loin de là.

Partout, Frida Kahlo règne plus que jamais, y compris au pavillon du petit commerce. Au Mexique, on a bien compris que l'univers de Frida s'exporte mieux que les processions à genoux en l'honneur de la vierge de Guadaloupe. Calendriers, tasses, aimants à frigo, sacs de plage, cartes postales et t-shirts ont été fabriqués en série pour combler de bonheur tout un monde en proie à une soif d'artistes authentiques... Imaginez le succès de l'entreprise lorsqu'on constate que Frida se trouve même en vente sous forme d'effigie de pacotille dans des dépanneurs des environs de Laval!

À Portland, dans le Maine, jusqu'au printemps, le Musée d'art contemporain présente les photos de Lola Alvarez Bravo, cette extraordinaire photographe mexicaine qui réalisa plusieurs clichés de Frida Kahlo ainsi qu'un court métrage qui la met en scène. Portland n'est pas si loin de Montréal, après tout. Et c'est surtout si près de Boston...

À compter du mois de février, la grande exposition dédiée au centenaire de l'artiste se déplace à Philadelphie. Beaucoup de gens vont à New York chaque année sans toujours se rappeler que Philadelphie se trouve juste à côté.

Tout l'été, on pourra voir cette même exposition au Musée d'art contemporain de San Francisco, une ville où Diego Rivera travailla beaucoup, accompagné par sa Frida. C'est d'ailleurs ce joli musée qui possède le célèbre portrait où le couple pose en jeunes mariés.

Mais il faut au moins commencer par lire la correspondance de ce diable de femme.

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L'enfer est à la Bibliothèque nationale de France. Jusqu'en mars 2008, l'institution présente quelques-uns de ses ouvrages les plus sulfureux au grand public. Une centaine de documents rares — livres, gravures et films — révèlent cinq siècles de célébrations privées du sexe et de l'érotisme.

Cette exposition aurait sans doute comblé de joie Léon-Z. Patenaude, personnage un peu oublié aujourd'hui, même si le monde du livre lui doit beaucoup au Québec. Membre de la Ligue de moralité publique, président du Service de tempérance de la Ville de Montréal, Léon Z. Patenaude fut un des principaux animateurs des toutes premières foires du livre à Montréal. Au fond, c'est beaucoup à lui qu'on doit l'existence de cet événement annuel.

De son vivant, dans un secret tout relatif, ce monsieur collectionnait les ouvrages érotiques. Rien de formidablement intéressant là-dedans, comme en témoigne aujourd'hui le catalogue de la bibliothèque de l'UQAM, à laquelle une partie de ses archives a été donnée. Sa collection de livres érotiques compte environ 300 ouvrages. Elle ne comporte aucune véritable rareté. De l'érotisme de base, tout au plus, au nom d'une libido mal tempérée à force d'avoir vécue dans une société où on croyait bon de la juguler.

Léon-Z. collectionnait Sade, Pauline Réage et quelques revues osées au même moment où il oeuvrait au sein d'organisations qui plaidaient pour l'élimination pure et simple de pareilles passions.

Ce curieux rapport à la sexualité chez nous pourrait presque constituer le sujet d'une exposition.

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