Le cinéma français: entre auteur et «blockbusteure»
Étonnants décalages que ceux dont la presse québécoise et internationale a été témoin à Paris le week-end dernier. Les dixièmes Rendez-vous du cinéma français chapeautés par Unifrance, organisme chargé de la promotion du cinéma de l'Hexagone à l'étranger, ont été littéralement vampirisés... par les Romains? Non, par les Gaulois, qui, en parallèle de cette rencontre professionnelle très feutrée qui avait lieu dans un hôtel de la place de l'Opéra, ont roulé les tambours sur les Champs-Élysées pour le lancement d'Astérix aux Jeux olympiques, blockbuster raté de Frédéric Forestier et Thomas Langman, tiré de la bédé d'Uderzo et feu Goscinny.
Le cinéma français, à son échelle, n'est pas si différent du cinéma québécois. Il est partagé entre ses films d'auteur, soutenus par la presse écrite et quelques bataillons de cinéphiles, et les gros canons, onéreusement annoncés, sucés jusqu'à la moelle par une télévision de variétés archi complaisante. Ainsi, malgré des critiques qui s'annoncent assassines, Astérix et Zidane (qui, dans l'épilogue, apparaît lourdingue et d'une sottise abyssale) devraient, selon tous les bons pronostics, atteindre un million d'entrées dès leur première semaine d'exploitation en France, devant débuter le 30 janvier (le Québec attendra jusqu'en juillet).Emmanuel Mouret (Changement d'adresse, Vénus et Fleur), dont le quatrième long métrage, Un baiser s'il vous plaît, en est à sa cinquième semaine d'exploitation, se réjouit pour sa part d'avoir atteint... 200 000 entrées. «Jusqu'ici, je n'en avais jamais fait autant», me confiait-il, ravi, en entrevue.
Cela étant, le grand écart entre cinéma commercial et d'auteur ne l'inquiète pas outre mesure: «C'est très bien qu'il y ait des gens qui s'inquiètent. Mais je sens que ma responsabilité consiste, simplement, à faire des films qui parlent à tous les publics». Un baiser s'il vous plaît, que le distributeur québécois K-Films Amérique prévoit lancer dans le cadre des célébrations du 400e anniversaire de Québec, est tout le contraire d'un film hermétique. Mais le cinéma populaire français s'étant américanisé avec des histoires misant sur l'action davantage que sur les personnages, il fait figure de résistant avec ses échos aux Truffaut, Guitry, Rohmer et Musset.
Le grand Claude Chabrol, 77 ans et une cinquantaine de films au compteur (dont Le Boucher, Violette Noxière, Une affaire de femmes), observe le phénomène avec un oeil plutôt amusé, faisant remarquer que les blockbusters français marchent souvent très bien. «Paradoxalement, si le même producteur, le même réalisateur, les mêmes acteurs, décident d'en faire un autre, ils ont autant de chances de se casser la gueule. Il n'y a pas plus de continuité dans la fidélité des spectateurs qu'il n'y en a dans l'inspiration», dit-il avec un soulagement évident.
Le réalisateur de La Fille coupée en deux, un bon cru attendu sur nos écrans d'ici le printemps, n'est pas tant inquiet pour le cinéma d'auteur, dont il est un des doyens en France, que pour les dommages collatéraux causés par les échecs commerciaux des grosses machines. «C'est de l'argent qui rentre en moins dans les caisses. Moi, je suis très terre-à-terre sur la question. Ils veulent faire du pognon? Par ici la monnaie, prenons cet argent et faisons des films avec. C'est ce qu'on appelle du blanchiment d'argent», lâche en rigolant celui qui se dit incapable de savoir avec certitude lequel de ses films a fait le plus d'entrées en France. «Ça doit être Madame Bovary, mais c'est tricher; ils obligeaient les enfants des écoles à y aller.»
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Autre décalage surprenant, aux États-Unis cette fois-ci. Le comité de présélection pour l'Oscar du meilleur film en langue étrangère, composé de quelques centaines de membres obligés par le règlement de voir la majorité des 63 films soumis au concours par leurs pays respectifs, a retenu L'Âge des ténèbres dans sa liste préliminaire de neuf titres.
Chemin faisant, ledit comité a éliminé les superhéros cannois 4 mois, 3 semaines et 2 jours de Cristian Mungiu (Roumanie), Persepolis de Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud (France) et The Edge of Heaven de Fatih Akin (Allemagne), que tous les experts donnaient favoris dans la course.
Entre aujourd'hui et dimanche, les films retenus seront mis à l'examen par 30 membres votants (dix de Los Angeles, dix de New York et dix choisis au hasard), qui en retiendront cinq.
Outre le Canada, représenté par la comédie d'Arcand, les pays représentés sont les suivants: Autriche (Les Faussaires de Stefan Ruzowitzky), Brésil (The Year My Parents Went on Vacation), Israël (Beaufort), Italie (L'Inconnue de Giuseppe Tornatore), Kazakhstan (Mongol), Pologne (Katyn d'Andrzej Wajda), Russie (12 de Nikita Mikhalkov) et Serbie (The Trap). Les finalistes des Oscars seront annoncés mardi prochain, et les gagnants, le 24 février.
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Collaborateur du Devoir